Frères
6.3
Frères

Film de Olivier Casas (2024)

L’un des genres les plus plébiscité au cinéma, autant par le public que par les professionnels, reste indubitablement le biopic. Un genre pourtant souvent sévèrement décrié par la critique, à la manière de certains films historiques, autant pour des questions de morale, que d’esthétique. Bien que centré sur une œuvre très précise, et surtout sur notre rapport au génocide perpétrée par la Shoah, il m’est impossible de ne plus penser, bien que ne m’y identifiant pas souvent, au texte « De l’abjection » de Jacques Rivette, véritable réquisitoire à l’encontre du film Kapo, de Gillo Pontecorvo. Centré sur une scène bien particulière, qui esthétise, dans le sens, magnifie, lèche, rend clinquant une scène de suicide dans les camps de travail, par le biais d’un travelling, le critique et réalisateur en plus de dénoncer ce qu’il estime être de l’abjection, vient questionner par ce biais notre rapport à l’image et son adéquation au réel, face à une certaine barrière morale. Plus que de parler d’un contexte historique précis, cette idée vient aussi s’insérer dans les films « inspirés d’une histoire vraie », une étiquette marketing d’abord, puis, pour certains, une fiabilité ensuite. Mais pour d’autres comme moi, un potentiel attrape-pigeons. Car si certaines histoires démentes méritent d’être racontées, l’outil cinématographique reste, indubitablement à prendre en considération, dans toutes ses subtilités, pour juger une œuvre d’art sous l’aune de ses qualités esthétiques et pas juste, de son histoire, aussi incroyable soit-elle.

Frères, sortit sur les écrans ce mercredi, raconte en parallèle l’histoire de deux frères à deux âges de leur vie ; leurs robinsonnades de plus de 7 ans dans une forêt et des retrouvailles impromptues, plusieurs décennies après ce que ces deux individus caractérisent comme les meilleures années de leur vie. Rien qu’avec ce résumé, je peux déjà déceler un problème, ou du moins une impasse que le réalisateur a pris sans broncher ; c’est que sa forme, jouant sur un miroir constant entre passé et présent, vient complexifier sans raison l’histoire narrée. Ici il ne sera pas question de complexification mais de boursouflure, car Frères est un film faisant dans l’esbroufe pour au final pas grand-chose, et, pire que ça, en dépit de son potentiel émotionnel. Autant dans son écriture, sa mise en scène, et donc, son montage, il est difficile de ne pas voir les effets de style et de manche, employées par le réalisateur pour mettre en scène son histoire. Mais plus que de simplement chercher la singularité, ce qui dessert vraiment ce second long-métrage, c’est qu’il n’est finalement singulier en rien du tout. Je mentirai si je disais que mon ennui face à la projection de ce film soit particulièrement dû à autre chose que cette écriture franchement grossière, qui desserre presque systématiquement tous les enjeux émotionnels mis en place ; pour ne pas dire qu’il sabote presque tout ce qu’il entreprend pour faire réagir les plus faibles d’esprit. Loin de moi vouloir jouer dans la cours du mépris, mais c’est ce que m’évoque le visionnage de Frères, l’impression d’avoir face à moi un objet cinématographique bête.

Pourtant il est peu dire que dans une certaine mesure, j’ai pu capter certaines intentions louables, et surtout, de vraies qualités de metteur en scène, de scénariste, et surtout de dialoguiste. Certains plans, par leur composition ou même leur montage, claquent et imprègnent la rétine dans toute leur beauté ou leur sens du tragique. De même que certaines conversations bourrées d’humanité, de sous-entendus frappants, de moments marquants ; qui viennent questionner et agripper les personnages et surtout les spectateurs face à des moments aussi troublants que forts. En revanche, difficile pour moi d’y capter aussi, une réelle authenticité, parce qu’à trop vouloir en faire, tout le temps et surtout sans subtilité ou dosage, ces tournures de phrase apparaissent surtout comme pompeuses, et donnent le sentiment qu’en dehors de son histoire et des thématiques abordées, le réalisateur souhaitait donner des leçons aux spectateurs. Comme si le projet manquait de modestie, la forme d’abord élégante apparaît ensuite pompeuse, surtout quand, presque tous les effets d’écriture ou de mise en scène mis en places, semblent n’avoir comme seul but que de surligner le mélodrame. Frères raconte une histoire déchirante et qui pourrait questionner notre rapport à la nature et la sociabilité, au final, il ne sert qu’un propos convenu et lisse, arrondis par ces jolis effets ; du travail de synthèse de plusieurs décennies de vies ici contées, à la manière de la raconter, presque plus rien ne semble avoir de saveur autre que celle du ouin ouin. Ce qui rend ironiquement triste le résultat sur un tel projet, c’est que l’histoire vraie à l’origine, aussi invraisemblable que sur le papier palpitante, devient tellement convenu dans sa forme, et surtout tellement vidée de toutes ses substances, pour ne pas dire aseptisée, qu’en dehors d’un sentiment agréable d’être divertit par du bel ouvrage, il ne reste plus rien. Ce qui est d’autant plus inquiétant, quand certains passages « tellement fous qu’on y croirait pas sans savoir que c’est vrai » deviennent tout simplement invraisemblables, quand tout est trop beau, trop bien agencé, et où le travail de fiction et de romantisation est venu me faire perdre toute suspension d’incrédulité au profit d’un divertissement dans tout ce qu’il est d’agréable mais aussi de stérile et sans plus d’intérêt que ça.

Bien qu’il me fallait d’abord aborder les réussites et surtout échecs en terme de mise en scène de la part du réalisateur, je n’ai pas pu m’empêcher, car on y recoupe toujours, de déjà aborder LE problème majeur de Frères : son écriture. Comme dit plus haut, il s’agit d’une histoire vraie, découpée entre deux périodes se faisant écho, et mêlant rêverie idyllique et réalité plus austère. Un pari intéressant mais qui, en dehors du bel ouvrage, semble, sur le produit final, n’avoir qu’un réel objectif : faire chialer. Je ne suis pas réfractaire au mélodrame, ces films romantisés jusqu’à la moelle afin de déclencher un torrent d’empathie et de pleurs du côté du spectateur ; mais ici, le résultat m’a paru tellement boursouflé, grossier et surtout, au final contre-productif, que j’ai dû y apposer un carton rouge. Je parlais de divertissement risible tout à l’heure, et c’est ce qui gangrène cette histoire intime passionnante, complexe et ambiguë, résumée à une tragédie plus directe, qui ne laisse pas le spectateur réfléchir, mais seulement réagir. Pour simplement devenir un produit formaté et grand public, ce témoignage sensible en fin de séance, d’un vieil homme rongé par la vie, mais aussi formé par d’importantes leçons, fut réduite à une relation dénuée d’intérêt, manquant cruellement de modestie dans ses moyens employés pour se calquer à l’histoire, et surtout aux intentions narrées. Car comme suggéré plus haut, bien que le film traite de sujets graves et de base passionnants, il ne les exploites pas réellement pour entretenir son fond, mais il m’a semblé bien plus préoccupé à s’en servir comme prétexte lacrymal. De fait, j’ai rejeté la proposition du début à la fin, car je voyais in extenso non seulement les grosses ficelles, autant émotionnelles que scénaristiques, mais j’avais surtout l’impression de voir du tragique prétexte qui me fait ironiquement perdre toute suspension d’incrédulité. Je n’ai pas l’impression de voir une histoire tellement extraordinaire qu’elle semble fausse, j’ai l’impression de voir une prémisse détournée en tragédie à la limite du caricatural. Là où le récent The Iron Claw réussissait à trouver le juste milieu entre l’histoire intime et le drame quasi olympien, c’est qu’il jouait avec sa forme, sa mise en scène réfléchie parfois très iconique, et surtout son fond, en reliant toujours le tout à cette famille, à leur développement juste, de leurs fêlures à leurs enthousiasmes. Un point hautement personnel mais qui a un lien avec une critique esthétique, Frères ne cherche pas la complexité, malgré que son amorce l’exige, et en cherchant une émotion plus directe, plus « facile », il m’a semblé se perdre dans l’abjecte.

On en revient au texte de Jacques Rivette, dont je ne suis cependant pas le plus grand partisan dans l’idée, car allier morale et art n’est pas réellement quelque chose qui m’intéresse, dans l’idée où justement, j’aime des récits amoraux, qui cherchent la transgression et la perversité, mais, avant tout, car c’est une émotion esthétique intéressante et bien plus nébuleuse que celles que propose Frères. Car ici le problème, ça n’est pas que je me suis retrouvé face à une œuvre qui filmait d’une manière qui ne m’intéressait pas, qui raconte via un procédé qui ne me touche pas vraiment, non, le problème, c’est que j’ai eu l’impression de me retrouver face à un auteur qui ne réfléchissait pas à son procédé narratif et de mise en scène. C’est là où Frères est selon moi, non pas abject (car on est pas sur un événement aussi important que les massacres perpétués par la Shoah) mais profondément antipathique, c’est que j’ai eu continuellement le sentiment de voir de la belle œuvre ne rendant jamais service au propos narré. Certes, il se dégage des choses intéressantes, qui sortent de la bêtise dans laquelle m’a semblé se complaire le long-métrage, mais honnêtement, je trouve ces points bien maigres pour qu’ils puissent me rassasier. Il y a un plan séquence filmant un immeuble, s’y rapprochant petit à petit, qui arrive à saisir tout le poids qui pèse sur ces deux frères, il y a ce moment hors du temps, où, encore jeunes, ces deux frangins s’éclaboussent dans une rivière et redeviennent des enfants banals, il y a cette partie d’échec perdue d’avance, ce parallèle (car il fallait bien qu’au moins un de ceux-là marche) entre une chasse au lance-pierre et au fusil. Oui dans ces moments, le film frappe juste, mais sinon, c’est au mieux, pour moi, banal, au pire, ronflant. Et ce sentiment, il apparaît en grande partie à cause d’un autre problème, pas très mineur : les acteurs. Alors, qu’on se dise bien, c’est facile de tirer sur l’ambulance, de fait je ne m’attarderai pas sur les jeunes acteurs, car bon… c’est, selon moi, vraiment passable. On a l’impression de les entendre réciter leur texte, de surjouer les intentions de jeu, bref, d’être assez maladroitement dirigé sans que cette maladresse transparaisse dans le film.

En revanche, au-delà de cette petite faute de goût, il y a Attal et Kasso, et là j’ai rien pu faire. Car si vous avez plus de hargne que les autres acteurs, qui en plus, servent tous des personnages fonctions ne sachant jamais réellement se détacher des impératifs scénaristiques, tout ça c’était bas. Vous avez joué dans de sacré trucs les gars, mais il serait bon de ne pas se reposer sur ses lauriers, parce qu’en l’état, je peux le dire, c’était douloureux. L’exemple typique des acteurs qui veulent trop en faire, qui même quand ils doivent jouer la retenue, semblent constamment dans la performance, bien qu’il faut le dire, le texte, toujours très ampoulé n’aide pas. En revanche ce qui est impardonnable, et dont je remettrai la faute au réalisateur, c’est la voix off, car déjà, je pense qu’entre ce machin et Un coup de dés, Yvan Attal devrait être proscrit, pour ne pas dire excommunié de cette pratique, parce que je crois qu’on ne fait pas en France aussi pathétique, caricatural et parfois même, disons-le, plus ridicule que lui. Surtout car cette dernière vient encore plus surligner ce que la mise en scène ne faisait pas déjà avec encore plus de facilité et de gêne tant tout sent la caricature du mélodrame. Puis, au-delà du choix de la voix et de la direction d’acteur, bah il y a ce choix. Parce que là je vais m’adresser à Olivier Casas, pourquoi ? Pourquoi faire si compliqué quand on peut en revenir à plus de simplicité, pourquoi autant épouser des esthétiques aussi convenues pour une pareille histoire, pourquoi autant se laisser aller dans la caricature ? A vrai dire je dirai qu’au vu des réactions du public, extrêmement émotives, cela serait parce que ça marche encore, ce que j’appellerai ces attrapes-pigeons. Non, la question qui englobe tout mes interrogations serait plutôt : pourquoi , des acteurs à la mise en scène en passant par le texte, à ce point incarner une lourdeur globale qui efface toutes les couches qui rendaient complet le véritable récit ? Eh bien cela sera peu aimable (très méchant même), mais j’ai eu la désagréable sensation, que tout ça était au service du pestacle, du divertissement, du vidage de crâne le dimanche soir à 21h sur M6. Pourquoi réfléchir à l’emballage global, de la musique omniprésente aux dialogues clinquants mais sans âmes, quand au final, on arrive à te faire pleurer ? Bah moi, j’ai envie de disserter ce genre de choses, et je me rend compte que bien que tout ne soit pas à jeter, l’emballage global reste médiocre.

Frères n’est pas un bon film, dans le sens où ce dernier semble annihiler tout ce qui peut faire sa force dans le fond, dans la prémisse, au profit d’une forme plus tapageuse et simple. S’il y a toujours des moments, des phrases, des idées à sauver dans chacun des points esthétiques du long-métrage, chacun d’entre eux m’a tout de même donné l’impression d’un heureux hasard, tant j’avais l’impression qu’à la base, tout ceci n’était pas réellement réfléchit. Et ça tombe bien, car on a pas besoin de réfléchir devant ce pudding mélodramatique, juste de pleurer, en oubliant bien les menus défauts servis par Olivier Casas, qui rend invraisemblable, abscons et moralisateur une histoire intime bien moins puissante qu’escompté, qui perd tout en substance et en importance, que ce soit en voulant retracer la réalité que d’imaginer, un fantasme profondément intime et humain.

Créée

le 2 mai 2024

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Vacherin Prod

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