Friday
6.4
Friday

Film de F. Gary Gray (1995)

Friday (F. Gary Gray, U.S.A, 1995, 1h31)

Intimement lié à la mode des ‘’Hood Films’’, de par sa présence dans ‘’Boyz n’ the Hood’’, et en tant qu’ex-membre de N.W.A, qui eut un impact important sur l’accession de la contre-culture Afro- américaine de la fin des années 1980 et au début des années 1990, le rappeur Ice Cube, débutant simultanément une carrière au cinéma, propose en 1995 le scénario de ‘’Friday’’.


Chronique douce-amère du quotidien, le récit suit les non-aventures de Craig (Ice Cube) et Smokey (Chris Tucker), deux jeunes paumés, au chômdu, qui n’ont rien à faire de leurs journées. L’arc narratif couvre une journée, un vendredi, suite au licenciement de Craig la veille. Les deux potes traînent, observent la vie fourmillante de leur rue, et y croisent des individus hauts en couleurs. Smokey fument des joints non-stop, Craig boit de la bière. Il ne se passe rien.


‘’Friday’’, mis en scène par le novice F. Gary Gray (qui 25 ans plus tard mettra en scène ‘’Straight Outta Compton’’), se concentre sur la vacuité de l’existence. Au-delà même de la condition sociale de ses deux anti-héros inutiles à la société, qui n’attendent plus rien, et ‘’traînent’’ sans espérer quoi que ce soit. Étrangers aux évènements qui se déroulent dans la rue, ils sont juste les témoins du vide que représente leur aventure sur terre.


Toujours drôle, le film se permet néanmoins quelques envolées dramatiques bien senties, abordant sans fard les fusillades, qui donnent le tempo de la vie du quartier. Ou encore en présentant quelques caïds ridicules, persuadés d’êtres des gangsters de haut vol. Quand ils ne font régner qu’une petite terreur sur quelques individualités plus faibles qu’eux. Sans être réellement pris au sérieux.


Smokey lui a fait le choix de couper définitivement les ponts avec la réalité. S’enfermant dans le paradis artificiel que lui offre la marijuana. Enchaînant joint sur joint, il est au fur et à mesure que le métrage avant de plus en plus perché. Il n’attend absolument plus rien de l’existence, donnant assez peu de crédit à la sienne. Au point de prendre des risques inconsidérés comme arnaquer l’un des dealers locaux. Lequel veut récupérer sa marchandise où la thune que lui doit smokey.


Cela occupe tout une part du scénario, montant crescendo jusqu’à son apothéose, venant rappeler que même si la comédie humaine qui se joue est drôle, décalée, avec un détachement envers la gravité de la situation, cette gravité finit toujours par rattraper ceux qui s’en détache. Le monde est dur, cruel, violent et peu enclin à faire des cadeaux.


Tout ça, Smokey l’apprend à ses dépens. Même si la leçon qu’il est censé en retirer, lui passe totalement au-dessus. Personnage nihiliste s’il en est, il incarne un je-m’en-foutisme, proche de celui qu’il est possible de déceler chez le O-Dog, de ‘’Menace Ii Society’’. Sauf qu’ici c’est par le biais d’une attitude à la cool. Smokey ne tire pas au flingue, il tire sur ses pétards.


Quand à Craig, c’est un personnage plus complexe. Il ne fume pas, il travaille sans vraiment être persuadé de son utilité, au point se faire renvoyer abusivement. C’est d’ailleurs l’un des gags du film : il fût renvoyé lors de son jour de repos, sans vraiment d’explications. Craig traverse tout le métrage avec un regard distancié et amusé sur les évènements qui se déroule lors de cette journée. Par une parfaite complétude avec son pote Smokey, il se présente comme le pendant cynique de ce dernier. Lui non plus n’attend rien de particulier d’une existence de plus en plus fou, mais il l’affronte frontalement, sans trop se résigner.


Il est conscient des réalités qui l’entourent, et de sa condition sociale. C’est d’ailleurs ce qui le rend terriblement humain, et justifie qu’il ne juge jamais son ami. Bien qu’il ne cautionne pas du tout le comportement, n’hésitant pas à le lui rappeler. Que ce soit sa consommation abusive de drogue, où l’entourloupe envers un type clairement dangereux, qui n’hésite pas à les menaces de mort, Et qui passera visiblement à l’action si nécessaire.


‘’Friday’’ est néanmoins une vraie comédie, avec des passages des plus drôles et des moments particulièrement bien sentie. Comme Craig et Smokey qui tabassent un gamin à vélo qui n’arrête pas de les narguer, un peu lâches, peu courageux, le duo fonctionne à la perfection. Et pourtant, dans les profondeurs du scénario réside une véritable gravité. Car ce qui se joue est un drame humain, dont l’amplitude reflète une certaine réalité.


Il est très clair que l’élaboration est inspiré d’un quotidien authentique qui sent le vécu. Car de ‘’Friday’’ suinte sans cesse une authenticité absolument non feinte. Tout ce qui se déroule à l’écran semble à peine extrapolés, s’avérant des plus réaliste. Mais perçu par le prisme désabusé du personnage de Craig, et de son interprète/scénariste Ice Cube.


Comme dans les paroles de ses chansons, il parvient à illustrer avec une certaine violence, non exempt d’une poésie urbaine des plus rêches, une expérience dramatique de laquelle se dégage toujours un espoir. Dans ses textes, comme dans ses scénarios, il demeure une forme salvatrice d’optimisme. Si la situation décrite est certes difficile, compliquée, et semble insoluble, ce n’est pas pour autant que le rapper sombre dans le pessimisme primaire.


Et c’est là ce qui fait toute la moelle substantielle de ‘’Friday’’, cette capacité à passer de la comédie au drame, et du drame à la comédie par une gymnastique naturelle. Celle qui offre à l’ensemble sa nature d’authenticité. Les types montrés à l’écran sont plus que des personnages interprétés, ils sont incarnés par des comédiens qui y mettent une part d’eux-mêmes. Sans jamais se prétendre ‘’documentaire’’, le métrage de F. Gary Gray ne cesse d’en revenir à la comédie.


Même lorsqu’une violente bagarre éclate, ou qu’une fusillade se déclenche, c’est à un moment ou un autre adoucie par un retour inopiné de la comédie au cœur du récit. Ce retour se traduit par une action absurde, une blague, où une intervention de Smokey. Ce n’est pas fait pour atténuer la violence du quotidien des habitants de South Central, bien au contraire, c’est justement pour illustrer que tout ça EST quotidien. Qu’ils ont appris à vivre avec.


Le film passe ainsi sans cesse son temps à rappeler qu’il est une comédie. Comme ces sessions spéciales entre Craig et son père, se tenant dans la salle de bain, alors que ce dernier lui fait des leçons de morales, tout en se soulageant. Alors que Craig est clairement gêné par la situation et l’odeur qui en émane. Pourtant ça sent terriblement le vécu. Où bien encore lorsque Craig, peu habitué à l’exercice, tire sur un joint de Smokey, et défoncé durant quelques minutes, permet l’exploitation de quelques bons gags.


Chris Tucker fait ici preuve de tout son talent, en campant un personnage qui aurait pu vite tomber dans la caricature, et être des plus agaçants. Mais particulièrement bien écrit, c’est plus une forme de peine qui émane de lui. C’est un bon gars, complètement paumé, qui a visiblement baissé les bras. Abandonnant tout faux espoir de s’élever dans cette société. Satisfait de se trouver au bas de l’échelle, fuyant les responsabilités, mais s’attirant des problèmes. Devenant le souffre-douleur de quelques gros bras, dans la même situation de lui, mais qui se cherchent une légitimité.


Sont ainsi exploitées les thématiques et les problématiques du ‘’Hood Film’’, avec ces types perdus qui veulent se créer leur propre légende, en usant de leur supériorité physique pour écraser les plus faibles. Se donner ainsi l’illusion d’être en contrôle de leurs existences, pourtant tout aussi dénuées de sens que ceux à qui ils mènent la vie dure.


Se retrouve également cette facette de l’attente, demeurant l’un des points centraux du genre. L’attente de jours meilleurs, l’attente d’un évènement, l’attente d’une fusillade, l’attente, sans cesse l’attente. Elle est ce qui rythme leurs existences, créant par moment un ennuie qui peut les ronger. C’est là leurs véritables ennemis : l’attente et le temps qui s’écoule.


Le scénario virtuose d’Ice Cube permet d’offrir un splendide chant du cygne pour un genre qui a atteint toutes ses limites, et n’a plus rien à offrir. En effet, en 1995 le ‘’Hood Film’’ n’a plus lieu d’être. Si des productions ultérieures en reprendront des éléments clés, ce sera de manière sporadique, et occasionnelle. Non plus dans une idée de mouvance, de mode. ‘’Friday’’ est ainsi encore porté par une vague enfin arrivée sur le rivage.


Pour preuve, le troisième film de John Singleton, ‘’Higher Learning’’, lui aussi de 1995, fait la synthèse du genre, en le plaçant au milieu d’un récit appelant d’autres éléments. Un jeune Afro-Américain accède à l’Université, reprenant exactement là où le destin de Caine était brisé dans ‘’Menace II Society’’. Leur message a été entendu, le malaise des ghettos Afro, exprimé avec virulence lors des émeutes de 1992, est entré dans le débat public.


Il est également possible de s’appuyer sur l’exemple de ‘’Malcolm X’’ en 1992. Le film de Spike Lee a en effet une dimension politique et historique d’une grande importance. Fresque épique d’un porte-parole controversé de la communauté Afro-américaine, la nature de l’œuvre ne s’intègre pas dans une démarche du genre. C’est une œuvre à part entière qui évoque avec une dimension universelle une part de l’Histoire américaine, sans faire de distinction entre la population Blanche et Noire. Qui illustre l’avènement prochain d’un consensus.


Avec la popularisation à la même période du gangsta rap, c’est toute une génération qui parvient à exprimer les difficultés de leurs conditions, et à se faire entendre. Même si rien n’est réglé en 1995, la situation s’assainit lentement, mais sûrement, à mesure que la criminalité diminue dans ces zones autrefois infestées par le crime. ‘’Friday’’ peut ainsi se voir comme une petite lucarne sur la réalité d’une évolution. Qui est renforcée par son côté satirique.


Ce premier film de F. Gary Gray, et ce premier scénario d’Ice Cube annoncent la fin d’un genre, mais c’est par la grande porte qu’il quitte la scène. N’ayant pas eu le temps de s’essouffler, au contraire. Bien que les œuvres qui parcourent les ‘’Hood Films’’ sont inégales, et que d’autres s’en revendiqueront par la suite, en en reprenant les spécificités, son existence n’est plus vraiment pertinente.


Une production comme ‘’Friday’’, terriblement sympathique, traduit avec un peu de nostalgie, tout l’optimisme des temps à venir. Créant ainsi un lien implicite avec ''Boyz n' the Hood'', quatre ans plus tôt, comme un écho faisant du genre qu'ils représentent une mode des plus cohérentes.


Son ton humoristique fait sa différence, interpellant sur l’absence de misérabilisme, tel qu’il est possible de le voir dans ‘’South Central’’ en 1992, et un peu dans ‘’Fresh’’ en 1994. Le temps n’est plus propice à s’apitoyer sur le sort d’une existence vide de sens. Celui de la reprise en main est arrivé, avec la conviction d’essayer d’en faire quelque chose, peut importe quoi, tant que c’est positif, et que l’on s’éclate en le faisant. Voilà ce que c’est ‘’Friday’’ : un grand cri du cœur bourré de positivisme existentialiste.


-Stork._

Peeping_Stork
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le 5 avr. 2020

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Peeping Stork

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