Convier les amis les plus célèbres de la télévision américaine voire mondiale 16 ans après leur dernière aventure ensemble, c'est prendre le risque de faire croire, encore aujourd'hui, à l'existence de cette soit-disante amitié à travers une improbable réunion. Présenté sous forme de plateau télé et passant en revue quelques-uns des moments les plus marquants de ces dix années considérées comme ouvertement cultes, cet hors-série donne la parole aux protagonistes de la série qui s'adonnent tour à tour au concours d'anecdotes maintes fois ressassées ça et là par les fans les plus hardcore, les convient autour d'une table pour rejouer quelques scènes, se sert intelligemment du procédé classique du flashback pour tendre le fil plus qu'il ne faut de la nostalgie. Car c'est bien de cette manière que The Reunion fonctionne ou, plutôt, existe : la nostalgie et rien d'autre.
Soyons honnêtes, The Reunion réussit à faire croire qu'il existe une amitié à travers les années et les égos. La fête des retrouvailles, modérée par l'inévitable homme à tout faire James Corden, se veut pleine de love, dégouline de mots doux et d'embrassades, d'interventions disséminées ça et là des producteurs historiques de la série et de quizz de salon amusants, de stars venues faire coucou car probablement de passage ou ayant un moment de libre dans leur planning. Notons à ce sujet les prestations pitoyables de Justin Bieber ou Clara Delevingne, de Beckham ou les Beatles coréens BTS venus dire face caméra comme une mauvaise publicité pour une campagne présidentielle ce que tout le monde sait déjà : quand la sinistrose guette, le seul remède c'est la tablette branchée sur Friends, un vrai Shot of Love pour paraphraser Dylan durant sa période de rock chrétien. Fallait-il créer toute cette hype autour d'un moment de télévision immédiatement consommé immédiatement digéré pour nous dire tout cela? Pour nous dire que, oui, Friends nous a accompagné dans tous nos moments de vie aussi joyeux que tristes?
The Reunion provoquera un peu de frissons chez les fans les plus hardcore pendant les dix ou quinze premières minutes mais ne transcendera jamais son matériau d'origine car on ne peut que douter de cette franche amitié : pourquoi avoir attendu si longtemps, pourquoi entend-on parler de longs mois de négociations et de cachets approchant les 3 millions de dollars par tête de pipe? Était-ce si compliqué de se retrouver? The Reunion a beau commencer avec les arrivées timides des protagonistes dans leurs anciens studios de Los Angeles avec tout ce qu'il faut de câlins gros comme ça, de larmes contenues et de souvenirs de plateau ça et là, la sensation de ne pas y croire une seule seconde et de placer la nostalgie au centre de tout ne nous quitte malheureusement que trop rarement.
On aura beau sourire largement pendant le quizz de David/Ross, fondre quand David/Ross et Jennifer/Rachel avouent avoir eu un crush l'un pour l'autre, on passe le plus clair de notre temps à essayer de comprendre les ravages, pourtant normaux, du temps. N'est pas South Park qui veut, nul ne peut tricher. Comme des bêtes de foires, The Reunion est une attraction, un débat interminable autour du seul réel sujet du soir : qui est le ou la mieux conservé(e)? Pourquoi Chandler, affublé d'une drôle de dentition, galère pour en placer une (mais en avait-il réellement envie)? Tout le monde est mis sous son meilleur profil, surmaquillé et toujours bien éclairé car ils se doivent d'être comme avant. A côté de ça, pourquoi les apparitions de certains personnages secondaires sont-elles si brèves (il faut voir le traitement réservé à Gunther ou Janice, aux parents de Geller pour comprendre), si bâclées? The Reunion aurait dû être un bonus trois étoiles, un making-of 2.0, plutôt qu'au final ce non-évènement une fois passé le premier quart d'heure, rappelons-le, touchant. Car la mise en scène dans son ensemble, ces caméras placées systématiquement où il faut pour capter l'émotion de l'instant ne peuvent que faire fondre comme neige au soleil tout semblant de spontanéité du projet et c'est parfaitement malheureux. Mais avouons-le, ces amis-là restent tout de même vraiment sympas en dépit du projet de riches dans lequel ils se sont fourvoyés dans le but de maintenir la flamme de la série qui continue, années après années, d'affoler les compteurs à coups de centaines de millions de dollars de recettes.