Ou comment mettre la nature humaine face à ses propres contradictions en 1H52...

Lors de mon marathon Kubrick il y avait quelques rares films que je n'avais pas vu et qui m'ont éblouis : "Lolita", "Les sentiers de la gloire", "Spartacus", il y a ceux que j'avais déjà vu (voir revus) et qui demeurent des claques monumentales : "Orange mécanique", "Shining", "Barry Lyndon" et il y a CE film... "Full metal jacket" un film de guerre tout ce qu'il y a de plus classique et qui m'avait fortement plu la seule fois où j'avais eu l'occasion de le voir mais pas au point de le désigner comme le classique de Kubrick par excellence. La première fois je ne comprenais guère (haha) ce que je venais de voir...à quoi bon filmer la guerre de façon aussi froide et sordide ainsi que ses excès et la rendre si divertissante sans faire passer de vrai message de façon explicite? Le déclic me vint après-coup : filmer l'absurdité de la guerre de la formation des soldats jusqu'à leur baptême du feu de façon aussi réaliste sans le moindre recul est un moyen d'autant plus efficace de faire de la guerre une dénonciation par elle même...sans qu'il y ait besoin d'en rajouter en terme de pathos (ce qui était le cas des "Sentiers de la gloire" en comparaison). Et puis, j'ai revu le film...et là j'ai vu une dimension du film extraordinaire qui m'avait quasiment échappée la première fois et qui a fait instantanément à mes yeux de ce film, non seulement un chef d'oeuvre du 7ème art...mais également MON Kubrick préféré!


En fait, il y a deux choses qui font de ce film une oeuvre d'art profonde et percutante : la première c'est d'avoir pensé le film à partir d'une structure dissymétrique. Je m'explique (pour ceux qui ont vu le film) : la première partie (la plus "culte") qui dure un peu moins de la moitié du film est consacrée à la formation des troupes et se solde par le meurtre de "baleine", soldat présumé empoté devenu à ce moment là LA machine à tuer par excellence. Outre le fait que cela montre que si un homme devient une vraie machine à tuer comme le préconise son entraînement contre-nature il n'est plus un homme...cela coïncide avec la façon dont s'achève la seconde partie du film : le "meurtre" de Guignol qui achève sa victime. La différence c'est que le premier a sombré dans la folie et que la réalité lui a échappée tandis que le second est victime d'un excès de réalité et a cette dernière bien en face de lui. L'un a choisi de mettre fin à ses jours submergé par sa fonction de machine à tuer et la folie liée à tant d'absurdité, l'autre a choisi de continuer à survivre dans un monde "merdique" après avoir pleinement assimilé l'absurdité de la guerre. Cette structure "bipolaire" renforce le message du film : la guerre ne propose pas d'alternative, vous vous laissez dominer par la folie ou vous l'absorbez...absorption renforcée par la dernière réplique du film qui réduit l'exaltation de la guerre à ce qu'il y a de plus irrationnel dans l'homme : rester en vie et confiant malgré une possible mort imminente devient une immense satisfaction.


Et c'est dans cet aspect irrationnel que demeure le second point fort du film (peut-être le plus fort des deux). Car, bien que la structure du film renforce l'aspect "dualiste" de la nature humaine prise entre la conscience morale et l'instinct de survie qui nécessite l’absorption de la folie de l'autre soit parfaitement représentée par le slogan "born to kill" non loin du logo de paix sur le casque de "Guignol", celle-ci est présente de façon "interne" à la façon dont se donne à ressentir le film! Car le film entier est conçu non pas pour être "dégueulasse" ou tristement déprimant (cf : "Il faut sauver le soldat Ryan") non...il est conçu pour être divertissant! Et cet aspect divertissant est renforcé par la façon dont se comportent les personnages eux-mêmes...mise à part à la toute fin du film on a l'impression de voir une bande de grands gamins acceptant la guerre comme un jeu ou alors comme un sport ou une "discipline" dans la première moitié du film, jamais comme une chose affreuse! Ainsi, nous sommes tels des soldats, des "camarades", pris d'empathie lorsqu'un soldat se fait blesser ou tuer, nous souhaitons les voir en finir avec ce tireur embusqué qui vient mettre du suspens et de l'excitation au film que nous regardons!


Et c'est là...à la toute fin du film alors que le spectateur a passé presque 2h à se délecter d'une violence verbale, physique, et psychologique à la manière d'un jeu télévisé ou d'un bon petit thriller...qu'il voit la réalité de la guerre en face...l'ennemi tant redoutable est pauvre, frêle, et impuissant... Ce film ne se contente pas de faire ressortir le dualisme de la nature humaine...il le fait ressentir en tant que tel directement chez le spectateur : il montre la camaraderie, l'exaltation d'une virilité collective, le perfectionnement de soi comme guerrier à la manière d'un simple feuilleton et exalte en lui ce qu'il y a de plus primaire et de plus malsain à suivre le destin de jeunes gens contraints de tuer pour ne pas l'être en retour. Puis au dernier moment : bim! Le spectateur voit sa conscience morale lui ressauter à la gorge...conscience qui avait été brusquement réveillée en voyant le sort du pauvre "Baleine" à la fin de la première moitié du film puis s'était rendormie pendant la deuxième...jusqu'à la toute fin!


Au-delà du fait que ce film nous invite à réfléchir sur nous-mêmes et sur le fait qu'il soit possible de rendre toute chose horrible "amusante" il permet ainsi de mieux comprendre la froideur et le recul qui a permis qu'une chose si irrationnelle que la guerre ait pu exister : elle exalte en l'homme ses pulsions guerrières, pulsions qui l'excitent et viennent noyer ce qu'il peut avoir en théorie de conscience morale que l'on soit simplement spectateur ou acteur...


Un chef d'oeuvre unique en son genre...

Venomesque
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de Stanley Kubrick et Top 10 Films

Créée

le 24 janv. 2017

Critique lue 387 fois

1 j'aime

Venomesque

Écrit par

Critique lue 387 fois

1

D'autres avis sur Full Metal Jacket

Full Metal Jacket
Gand-Alf
8

Purgatory.

Sept ans après avoir terrorisé le monde entier avec son adaptation du best-seller de Stephen King, The Shining, Stanley Kubrick s'attèle à un autre genre, celui du film de guerre, qu'il avait déjà...

le 5 janv. 2017

62 j'aime

7

Full Metal Jacket
real_folk_blues
8

Joyeux anniversaire Jesus

Loin de moi l'idée de faire une critique digne des Cahiers Du Cinéma parce que c'est du Kubrick. D'abord j'en suis incapable (malgré des heures d'entrainement j'arrive toujours pas à péter plus haut...

le 24 juin 2011

57 j'aime

18

Full Metal Jacket
SUNSELESS
8

Fini les branlettes, à vos chaussettes.

Je ne peux pas écrire de critique sans citer le génialissime Sergent Hartman qui ferait pâlir de jalousie le Docteur Cox (Scrubs). Avec des répliques et des chansons inoubliables accompagnées d'un...

le 18 avr. 2011

54 j'aime

12

Du même critique

Memento Mori
Venomesque
10

Chapitre 15 ; "Memento Mori" ou souviens-toi que tu aimeras toujours ce groupe.

Après un "Spirit" bien accueilli par la critique mais accueilli de façon plus variée par les fans (en France en particulier) ce fût cinq longues années d'incertitude pour Depeche Mode. D'abord la...

le 4 avr. 2023

22 j'aime

23

Pink Flag
Venomesque
10

La critique consice...à l'image des morceaux du disque!

Parmi les groupes "punk" de la deuxième moitié des années 70 il y a les incontournables "Sex pistols", les plus commerciaux "Clash", et puis il y a les inconnus au bataillon...les groupes de punk un...

le 31 août 2015

16 j'aime

7

Spirit
Venomesque
8

DEPECHE MODE CHAPITRE 14 : "Spirit" ou l'esprit contestataire.

Le gros problème quand on est fan (mais genre "vraiment") d'un groupe c'est qu'on a parfois du mal à prendre du recul sur son oeuvre. Hors, Depeche Mode étant très probablement mon groupe préféré (à...

le 2 avr. 2017

13 j'aime

4