J’ai mis longtemps à comprendre ce qui me posait problème dans Full Metal Jacket, le film de Kubrick qui me plaît le moins avec Eyes Wide Shut. Puis j’ai vu Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, sur le même sujet, et j’ai compris une première partie de mon problème. C’est un film de guerre qui ne m’a pas paru assez humain. Et c’est un reproche qu’on peut faire à l’ensemble de l’oeuvre de Kubrick (Godart n’y manquera d’ailleurs pas à plusieurs reprises dans ses Cahiers du Cinéma), de ne pas être assez humaine. Evidemment, cette “inhumanité” de Kubrick, son “matérialisme” (c’est le mot qu’utilise Tarkovski à propos de Kubrick) a ici pour but de montrer l’inhumanité de la guerre, sa matérialité, son absence d’émotion et de sens. Mais si c’est réussi dans la première partie, c’est raté dans la seconde. Le second film qui m’a fait comprendre le problème, c’est Les Carabiniers de Jean-Luc Godart, fable sur la guerre dans laquelle l’humour grinçant va vraiment au but, rend compte de la dénonciation.
La première partie se déroule dans un camp d’entraînement pour jeunes marines, sous la coupe du commandant Hartmann, instructeur qui privilégie l’humiliation pour entraîner les soldats et les faire “devenir des durs”. Toute cette première partie est superbe, même incroyable. On suit au jour le jour le quotidien des jeunes engagés, et surtout l’humiliation de l’engagé Baleine, martyrisé par Hartmann, parce que peu prédisposé aux activités physiques et un peu simplet. Peu à peu, l’engagé Baleine sombre dans la folie, jusqu’à la superbe scène des toilettes, qui clot la première partie. Dans cette première partie, toutes les scènes sont à leur place, riches de sens, et même mythiques pour certaines : le rasage de cheveux, suivi du premier monologue d’Hartmann, puis les chansons, l’entraînement, la prière au fusil, et enfin la très grande scène dans les toilettes, dans laquelle la folie éclate. Rien n’est banal, tout fait sens, à plusieurs niveaux de lecture.
Mais la suite m’a laissé un goût amer. On suit l’itinéraire de l’engagé Guignol, devenu soldat au Vietnâm. On commence par la scène dans la rédaction du journal, où l’on comprend la bêtise des reporters sur place, la bêtise de la guerre, la censure, etc.. Mais (et ce sera un problème majeur jusqu’à la fin) les dialogues sont plats, sans aucune force. Kubrick veut montrer le quotidien des soldats tel qu’il était vraiment, leurs vrais dialogues, mais ça ne fonctionne pas. Manque toute la profondeur de la réflexion. Et les scènes deviennent terriblement longues. Perdu le rythme effréné de la première partie, où une scène mythique en chassait une autre. Déjà, la scène du journal était éprouvante d’ennui, mais cela continue par la suite, avec l’offensive du Têt filmée lointaine, sans grand impact sur l’écran (on accordera à Kubrick qu’il lui manquait des financements, mais quand même), puis l’arrivée au front, et enfin cette longue scène où les soldats américains se font canarder par un sniper. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris l’esthétisation de la mort des soldats touchés par le sniper. Tout est lent et sans profondeur. Surtout la voix off du sergent Guignol, dont les réflexions sont particulièrement inintéressantes.
D’autres explications à ce contraste immense entre les deux parties peuvent être les acteurs : dans la première partie, le sergent Hartmann et l’engagé Baleine sont particulièrement convaincants. Dans la seconde partie, l’engagé Guignol et ses acolytes ont un jeu aussi plat que leurs personnages. Aussi, je n’ai pas été convaincu par les musiques, que ce soit Surfin’ Bird ou Mickey Mouse : chansons joyeuses pour créer un décalage avec l’horreur de la guerre. Mais, chez moi, ça ne prend pas vraiment : encore une fois, c’est très lisse, loin de la profondeur de The End des Doors dans Apocalypse Now. L’humour grinçant donné par ces chansons est très loin d’être aussi puissant que celui des Carabiniers de Godart, dans lequel l’humour fait mouche, travaille vraiment avec la réflexion.
En bref, un film à voir, comme tous les Kubrick. Faîtes-vous un avis. Personnellement, en film de guerre, je trouve que notre ami Stanley fait moins bien que tout ce qui se faisait à l’époque, moins bien également que son Sentiers de la Gloire sur la Première Guerre Mondiale. Dommage que la seconde partie du film soit ratée, car la première est vraiment superbe, et mérite toute l’attention.