Purgatory.
Sept ans après avoir terrorisé le monde entier avec son adaptation du best-seller de Stephen King, The Shining, Stanley Kubrick s'attèle à un autre genre, celui du film de guerre, qu'il avait déjà...
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le 5 janv. 2017
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Vers la fin de sa carrière, Kubrick a de plus en plus tendance à espacer ses films. Suffisance ? Manque d'inspiration ? Malheureusement, il n'est plus là pour nous le dire. Cependant, une troisième explication s'offre à nous: et si Stanley avait profité des progrès techniques (dont il ne disposait pas au début de sa carrière) pour réaliser des films davantage aboutis, puisque la technologie lui ouvrait enfin de nouvelles perspectives de mise en scène ?
Full Metal Jacket, sorti en 1987, est un film de guerre, son troisième après Les Sentiers de la Gloire et Docteur Folamour. On notera qu'il sort environ sept ans après Shining, un délai plutôt conséquent. On y suit J.T. Davis, soldat de l'armée américaine, qui suivra dans un premier temps un entraînement militaire, avant d'être mesuré au front. Le film compte donc une certaine césure à partir de laquelle on compte deux parties narratives qui se succèdent.
La première m'a fait penser à Whiplash, film de Damien Chazelle sorti fin 2014 et nominé aux Oscars. On y retrouve en effet le même personnage que le général Hartmann: un homme injurieux, certes jouissif à écouter tant le débit de punchlines à la seconde est impressionnant, mais qui pousse l'autorité à son paroxysme. Attribuant à chacun de ses pauvres élèves des noms peu reluisants (Blanche-Neige (pour un noir), Baleine ou encore Guignol), il apparaît rapidement comme une caricature de général, tant il demande des efforts surhumains et inflige des châtiments terribles. Pendant les quarante minutes que dure cette première partie, on assiste en effet surtout à un rabâchage ininterrompu d'humiliations de la part du général, qui vise surtout à démontrer combien cette déshumanisation des soldats, pour aller tuer des hommes qui n'ont rien demander, peut être brutale. On le voit d'ailleurs par rapport à l'impact qu'a ce comportement sur un personnage en particulier, Baleine.
La seconde partie du film est moins axée sur la violence psychologique que la première; là c'est une violence davantage physique puisque nos soldats vont cette fois sur le front. On dénote toutefois rapidement une baisse de rythme par rapport à une première partie qui ne se posait jamais, et même si l'introduction, où l'on retrouve deux soldats dans la ville de Saigon, est magnifique, la narration a par la suite tendance à prendre un coup dans l'aile. Non pas que le rythme se ralentisse à l'excès; au contraire, les mouvements de caméras s'accélèrent, les travellings se multiplient, les fusillades également: c'est dans cette partie que se développe réellement l'aspect "film de guerre" de FMJ. Mais cette partie contraste également brusquement avec la première, qui se voulait courte, vive et efficace, alors que la seconde se veut plus détaillée et patiente, cassant un rythme qui ne retient parfois plus l'attention.
Heureusement, fidèle à lui-même, Kubrick sort le grand jeu en ce qui concerne la forme de son récit. Comme je l'ai dit en introduction, les progrès techniques lui permettent désormais, comme on l'avait déjà remarqué dans Shining, d'explorer de nouvelles perspectives de mise en scène, ce dont il ne se prive pas dans FMJ. Travellings de plus en plus longs, steadycams de plus en plus utilisées, quelques plans qui flirtent avec le plan-séquence...: Kubrick propose avec FMJ une des réalisations les plus poussées de sa longue carrière, qui rivalise peut-être avec celle des Sentiers de la Gloire, alors géniale parce que minimaliste. Les plans d'ensemble de la première partie, notamment, rendent le récit d'autant plus percutant qu'ils surviennent de façon répétitive. Il accompagne, comme à son habitude, son récit d'une composition musicale de qualité (on retiendra le choix de pertinent de Paint it Black des Rolling Stones pour le générique de fin, qui prolonge cette idée de fausse légèreté que propose le film).
Ah, et les bridés feraient les Indiens... !
De fausse légèreté, oui. Full Metal Jacket, c'est le récit d'un patriotisme édulcoré et presque innocent égaré dans un ouragan de violence inutile. Et cette innocence presque assumée se retrouve dans cette musique légère, presque joyeuse, qui ouvre le film. On le voit également lors des magnifiques mises en abyme qui surviennent dans la seconde partie du film, alors que le personnage principal interviewe des soldats pour savoir ce qu'ils pensent de la guerre du Viet-Nâm, leur implication dans celle-ci, etc..: on est guère étonné de voir des soldats totalement vidés par l'entraînement qu'ils ont pu subir dans la première partie du film, sans la moindre petite once de conscience qui leur permettrait de se remettre en question et de résister à leurs pulsions dévastatrices, qui préfèrent obéir à l'appel d'un hypothétique nouveau Far West asiatique.
Des personnages qui, comme je l'ai dit, sont la plupart du temps caricaturaux sans être trop grossiers: dans la première partie, le général possède cette caractéristique-là; dans la deuxième, on retrouve un soldat particulièrement brutal qui fait figure de cliché de psychopathe transfiguré par la guerre. Ils ne tombent toutefois jamais dans le cliché profond, créant même à l'occasion des éléments crédibles de satire de la guerre du Viet-Nâm: cette uniformisation des soldats dès la première scène du film par exemple, alors qu'on les rase; ou encore les mouvements synchronisés des soldats lors des scènes d'entraînements militaires. Le général de la première partie devient alors une machine à créer de nouvelles machines, déshumanisés, "born to kill"; une machine particulièrement injurieuse et lobotomisée: cela donnera lieu à la scène cocasse de la deuxième partie, où l'on rencontre un général du même acabit incapable de comprendre "la dualité de l'être humain" qu'évoque le personnage principal, symbolisée par des éléments aussi forts qu'un pin's peace et un casque sur lequel est gravé "Born To Kill".
Et au final, ce personnage principal est bien le seul qui ne soit pas si caricatural: dès la première partie, alors qu'il se moque du général, on comprend qu'il sera la tête forte de ce film, celui qui va remettre en question ce qu'il voit, qui va réfléchir, tout simplement. Et ce sera bel et bien le cas; c'est par son statut de journaliste que Kubrick peut analyser plus en avant les diverses pensées qui peuvent habiter des soldats qui tuent si loin de chez eux, sur un simple ordre. C'est lui, et lui seul, qui comprend, sur la dernière scène du film; qui saisit, l'espace d'un instant, toute l'horreur de la guerre et de son acte, alors que la seule réaction qu'ont ceux qui l'entourent est: "T'es un dur, mec". Il est un petit peu une sorte d'espion que Kubrick aurait inséré dans l'armée américaine, afin d'en sonder les tenants et les aboutissants.
Car faute de s'attaquer, comme beaucoup de films sur le Viet-Nâm, à un gouvernement belliqueux qui sacrifie des vies au simple appel de l'anti-communiste, FMJ se focalise plutôt sur l'armée, voire même l'Homme en soi. On est loin, bien sûr, d'une exploration anthropologique telle que pouvait l'être 2001: l'odyssée de l'espace; mais il y a assez, tout de même, pour déplorer cette sauvagerie de l'être humain à guerroyer partout, sans raison, et à soumettre et à rabaisser les plus faibles. Cet Homme-là, redevient animal, prédateur, même; à l'image de l'affiche du film, il ne voit pas plus loin que son casque dont les balles accrochées ressemblent bien trop à des crocs.
Des crocs prêts à se repaître de n'importe quelle chair, pourvu qu'elle satisfasse cette pulsion qui caractérise l'Homme, sa nature même, ce pour quoi il est né: tuer.
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Créée
le 24 avr. 2015
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