Purgatory.
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Alors que la guerre renait en Europe, j’ai revisité un classique. Stanley Kubrick est un réalisateur réfléchi qui n’a signé que treize longs métrages en quarante-six ans de carrière. Il en a consacré trois à la guerre : le très sombre Les Sentiers de la gloire (1957), le parodique Docteur Folamour (1964) et Full métal jacket (1987). La sale guerre du Vietnam était un sujet très largement traité par Hollywood, pensez à Voyage au bout de l'enfer (1978), Apocalypse Now (1979) ou Platoon (1986), que restait- il à dénoncer ?
Le corps des Marines ayant refusé de soutenir le projet, Kubrick tourne en Angleterre et crée de toutes pièces une jungle de plastique dans une friche industrielle. Il sélectionne des acteurs peu connus, facilitant notre dépaysement. Le film débute sur la tonte des recrues, puis enchaine par le long dressage de la section du sergent Hartman. Recruté comme consultant technique, le vétéran R. Lee Ermey est un ancien instructeur des Marines. Séduit, Kubrick lui confie le rôle d’Hartman en lui laissant carte blanche pour improviser ses dialogues. Le sergent développe un extraordinaire lyrisme martial qui subjuguera des générations d’instructeurs. Par une épuisante accumulation d’exercices physiques, de brimades dégradantes, de virils encouragements et de courses en chansons, il prétend transformer des gamins en tueurs patentés qui, à l’image des anciens marines Lee Harvey Oswald et Charles Whitman (un tueur en série), obéiront sans états d’âme. Il confie Grosse baleine (excellent Vincent d’Onofrio) à l’intello – il porte des lunettes – Joker (Matthew Modine). L’instruction est rude. Hartman est impitoyable, mais semble réussir la mutation du malheureux Baleine en guerrier.
Puis, sans transition, nous retrouvons le désinvolte Joker devenu journaliste militaire. Plongé dans l’offensive du Têt, il rejoint la section de son camarade Cowboy. Kubrick réduit sa guerre à celle de Joker, qui se limitera à deux escarmouches et à une traque de sniper. Il ne cherche pas le réalisme, mais nous livre le portrait de soldats perdus. Un reporter interroge les vétérans avant le combat, puis après la mort de leur chef. Leurs propos sont hallucinants, mêlant aliénation cynique, désespérance et nihilisme à de rares touches d’ironie cruelle. Seul le bleu affiche un patriotisme qui sonne tragiquement faux. Tout au plus peut-on regretter que, à l’inverse du film de Michael Cimino, nous ignorons tout du passé de ces hommes. Nous sommes amenés à penser qu’ils sont passés par les mains d’émules du sergent Hartman qui leur ont appris à tuer… Mais sa démonstration perd en efficacité.
La bande son mêle des créations de sa fille Vivian à des succès de l’époque. Nous découvrons les plaisirs frelatés de Saigon accompagnés des exclamations enjouées de These Boots Are Made for Walkin' de Nancy Sinatra, nous quitterons le Viêt-Nam sous les noires et brutales explosions de Paint It Black des Rolling Stones.
Que nous dit Kubrick aujourd’hui ? La modernité et la connectivité ont-elles changé la guerre ? Les fragilités des liaisons radio et la lourdeur ventrue des hélicoptères sont obsolètes, mais la guerre au sol n’a, probablement, rien perdu de sa cruauté, ni l’entrainement des corps d’élite de sa déshumanisation.
P. S. : R. Lee Ermey poursuivra une longue carrière de comédien. Fair-play, le chef de corps des Marines le nommera gunnery sergeant, à titre honoraire, en 2002.
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le 2 mars 2022
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