Funan est le nom d’un royaume situé dans le delta du Mékong, où a éclos la civilisation khmère au 1er siècle après JC. Funan, c’est aussi le nom du premier film de Denis Do, un réalisateur français d’origine cambodgienne qui a décidé de puiser dans les souvenirs de sa mère et des divers récits et témoignages de sa famille pour raconter le parcours de Chou, une jeune mère cambodgienne, retenue prisonnière dans les camps de travail khmers rouges, et qui essaie de retrouver avec son mari, son jeune garçon Sovanh de 3 ans, dont ils ont été séparés durant leur exode de Phnom Penh.
Raconter une histoire qui prend place durant le régime génocidaire des Khmers Rouges qui a pris place au Cambodge entre 1975 et 1979 via l’animation peut paraître incongru tant cette forme de cinéma est très souvent associée à une image enfantine. Et pourtant, Denis Do réussit à retranscrire une partie des atrocités vécues par le peuple cambodgien tout en ne tombant pas dans le voyeurisme de la violence gratuite. Il n’y a pas une goutte de sang qui est versée dans le film, les scènes très difficiles sont retenues, suggérées, voire même éludées, mais malgré tout, elles continuent de hanter longuement nos esprits alors que notre regard est déjà porté sur des paysages et des décors de carte postale d’une splendeur écrasante.
L’héritage des studios Ghibli est également assumé tant Funan en reprend les codes narratifs et les techniques d’animation, mais il puise également dans le cinéma classique avec sa gestion du hors champs, dont leur présence participe à l’indicible dureté qui imprègne tout le long du récit. Le film ne s’attarde pas sur les explications du conflit, ni sur l’idéologie du régime tyrannique, et encore moins sur les personnalités des hommes en noir de l’armée de l’Angkar, mais il cherche plutôt à montrer l’évolution progressive de la population face aux événements. La famine les transforme à la fois physiquement et mentalement, les notions de base de la vie en société laissent place à un instinct de survie qui bouscule les lignes et qui va jusqu’à bouleverser les relations entre les membres d’une même famille. Et pourtant, c’est cet instinct de survie qui fait avancer les personnages, qui les raccroche à la vie, qu’ils continuent à marcher, à la poursuite de leur échappatoire et qui leur permet de ne pas se retourner sur les horreurs qu’ils ont subies. Le dernier plan du film symbolise cette vie qui continue de faire son chemin, isolée et perdue dans l’immensité d’une nature luxuriante qui nous entoure.
Funan met en lumière cette résilience des survivants, de ceux qui ne s’apitoient pas sur leur sort, et qui avancent coûte que coûte, parce que regarder en arrière serait tout simplement une impasse au plus profond de leur être. Il y a un parallèle saisissant avec toute une génération de réfugiés de ce régime sanglant qui sont venus s’installer et vivre en France dans les années 70, et dont leurs descendants qui aujourd’hui, cherchent à reconstituer leur histoires familiales et qui se retrouvent souvent devant un silence à la fois frustrant et plein de sens. Comme si le fardeau de cette tragédie ne devait pas être transmis à la génération future pour qu’ils puissent continuer leur route de l’existence.
Funan est une oeuvre au propos extrêmement dur sur la nature humaine et les horreurs qu’elle peut commettre, mais dont les survivants poursuivent malgré tout leur chemin de vie. Et là où il a de la vie, il y a de l’espoir.