Arf… Je suis circonspect sur la démarche de ce film voyez-vous.
Un dessin-animé aux lignes douces et à la tonalité mesurée pour parler de la terreur khmer rouge, j’avoue qu’encore maintenant, j’ai du mal à voir la pertinence.
En soi ce n’est pas l’association d’un événement tragique à la forme du dessin-animé qui me pose souci. Après tout, beaucoup d’œuvres ont déjà su faire de belles propositions de cinéma avec une pareille association, qu’il s’agisse (dans des genres biens différents) de « Persépolis », « Valse avec Bachir » ou bien encore du « Tombeau des lucioles ».
Et c’est vrai que dans tous ces cas-là, le dessin permettait d’atténuer la violence crue du conflit au profit d’un message ou d’une démarche qui allait au-delà de la simple exposition terrible.
Donc, sur le papier, le parti-pris qu’a choisi Denis Do n’est pas mauvais en soi.
Seulement voilà, dans le cas de « Funan », je trouve que la mayonnaise ne prend pas.
D’un côté le film se veut très pédago et esquive les scènes de torture, de meurtre et de violence explicites comme s’il cherchait avant tout à s’exprimer aux enfants, mais de l’autre côté son propos et son atmosphère sont d’une noirceur absolue – sans aucun moment de répit ou de respiration pour désamorcer la terrible tension de l’oppression khmer rouge – ce qui fait que j’ai du mal à imaginer qu’on puisse décemment mettre un gamin face à un film pareil…
Du coup, ne restent plus que nous : les adultes.
Mais si ce film nous est adressé, alors pourquoi avoir fait le choix de cette pédagogie simpliste, de cette narration aplanie et de cette animation adoucie ?
Pour moi ça n’a pas sens. Ça rend tous les choix formels de ce film totalement inopérants.
A se demander même si ceux-ci n’ont pas été avant tout dictés par des raisons économiques plutôt que par des raisons artistiques.
Parce que bon – on ne va pas se mentir non plus – cette animation saccadée, elle n’apporte strictement rien d’un point de vue formel. Quant à ce trait épuré à l’extrême, sur un grand écran, il met surtout en évidence le vide de la composition plutôt que la pureté de la ligne.
Alors après, au-delà de ça, c’est vrai qu’il y a de jolies couleurs et quelques belles toiles de fond : là-dessus je n’ai rien à redire.
Mais encore une fois, je n’arrive pas à cerner la pertinence de tels choix au regard de la démarche globale de l’œuvre…
Je pense sincèrement que, pour mon plus grand malheur, Denis Do a été un peu aveuglé par la puissance émotionnelle que générait un tel sujet par rapport à son histoire familiale, et qu’il n’a pas su prendre le recul nécessaire pour cerner les vrais enjeux qu’impliquaient ce choix du dessin-animé pour parler d’un événement tragique.
Certes, il est vrai que dans chacune des œuvres qui ont su exceller dans cet exercice, la forme du dessin-animé avait eu pour fonction première d’atténuer la violence et de désamorcer en partie la tension mais, à la grande différence de « Funan », c’est que cette atténuation avait pour but de laisser de la place à autre chose que de l’émotion brute.
Le sujet n’était pas le traumatisme ou l’horreur en soi. C’était au contraire quelque-chose qui se développait à travers ce cadre.
La construction d’une femme malgré la révolution islamiste et l’exil dans « Persépolis ».
La prise de conscience rétrospective d’un traumatisme par le déni dans « Valse avec Bachir ».
Ou bien tout simplement l’extinction progressive de l’innocence et de l’enfance dans « le tombeau des lucioles ».
Dans « Funan », il n’y a rien au-delà de l’horreur. Il y a juste de la souffrance.
La simple description d’un cauchemar bien réel.
Certes, c’est sincère. Mais le problème c’est que la forme n’est au final pas exploitée à bon escient. Et ça m’attriste d’ailleurs de constater que les rares tentatives de poésie se réduisent à une seule et unique idée...
(un souffle dans la nuque qui se transforme en brise funeste à la fin du film).
Paradoxalement, je trouve que ce film se révèle au final trop pudique et trop didactique pour vraiment éclore en une œuvre à la fois puissante et intemporelle.
C’est dommage. Limite ça m’attriste parce que j’aime les tentatives formelles comme celles présentes dans ce film.
Mais bon. En art, les bonnes intentions ne suffisent malheureusement pas…