Ceci n’est pas un scénario. C’est une extrapolation du Voyeurisme Sadique inhérent aux spectateurs au cinéma, toujours avide de chocs ou de sensationnalismes. C’est une extrapolation, également, du Sadisme inhérent au Créateur lui-même, qui maîtrise toutes les destinées des personnages, même l’univers diégétique (comme il le rappelle en faisant rembobiner une certaine séquence). Ainsi, je vais vous avouer que ce long-métrage ne m’a pas plus choqué que ça. J’avais compris assez rapidement qu’Haneke allait se déchaîner, qu’il n’y aurait pas de survivant et que le plus insupportablement innocent y passerait en premier, en jouant constamment avec des faux espoirs sur le public. C’est en cela que « Funny Games » est une prouesse, il contourne allègrement absolument toutes les règles scénaristiques pour n’en mettre qu’une seule au pinacle : le rebondissement. Tout le reste n’est que mise en scène et littérature. Toute l’histoire n’est qu’une immense métaphore de l’écriture d’un scénario par un homme misanthrope qui s’amuse à pisser sur le monde.
Ceux-ci ne sont pas des personnages. Ce sont des pions du joueur d’échec Autrichien. Les plus charismatiques seront les plus psychopathes, les moins attachants seront les plus innocents. Ce jeune homme au regard inoubliable, qui brise le quatrième mur pour forcer le spectateur à être un participant à ces « jeux amusants », démontre à travers sa manipulation délicate et raffinée à quel point l’on peut cacher ses intentions dangereuses par la politesse ou la gaucherie. Lui et son partenaire sont des Jokers réalistes : aucun objectif hormis le chaos chez l’individu, folie subtile, démons sortis d’on-ne-sait-où et impossibles à stopper. C’est sans doute cela qui rend leurs dialogues si magnétiques. Il ne peut rien leur arriver, ils dominent tout aussi bien leurs victimes que les spectateurs (ce qui devient sensiblement la même chose). Si ces deux persos paumés peuvent dominer une assemblée spectatrice et une famille, effectivement, pourquoi chercher à expliquer ou approfondir ? Il n’y a qu’à laisser notre sadisme refoulé se défouler.
Ceci n’est pas un film. C’est un acte punk, qui zigzague avec les habitudes confortables de tout le monde. Mais contrairement au « Ruban Blanc » par exemple, il n’est pas inconfortable à cause de sa fatalité austère ; la fatalité de « Funny Games » n’a rien d’austère, le scénariste a vraiment l’air de s’éclater à rédiger ces scènes horribles, les Funny Games ne concerne qu’Haneke, et c’est pourquoi j’y ai vu vraiment comme un énorme crachat rageur sur la nature humaine fataliste plutôt qu'une résignation à propos de la fatalité destructrice de l’homme. Par contre, je pense que son exercice aurait carrément gagné à être réduit d’une vingtaine de minutes pour être pleinement mordant. D’ailleurs, lorsque les deux gaillards repartent pour laisser le couple chialer, si la scène dure aussi longtemps pour continuer à « retourner » le spectateur, la réduire l’aurait empêché de le faire décrocher en attendant le retour des loulous (enfin ce fut mon cas). Et puis, bon c’est un détail, mais il aurait pu choisir un meilleur morceau punk justement…
Ceci n’est pas une Œuvre d’Art. Ceci est une Humeur Dénonciatrice.