Il y a quelques années maintenant, je suis ressorti particulièrement retourné d'un film de Michael Haneke, son nom, Funny Games US. Je me rappelle de ce ressenti et il restera je pense toujours lié à ce film, une sorte de singulier dégoût envers les comportements humains et l'incompréhension de ce réalisateur qui se sera bien amusé à jouer avec ce qu'on appelle, le bien pensant.
Pourtant, tout partait innocemment, une simple rencontre entre une famille middleclass et deux jeunes garçons à première vue bardés de bonnes intentions. Des œufs à dépanner, tout part de là. Mais très vite l'embarras de cette situation anodine laisse place au malaise le plus total lorsque de manière totalement injustifiée les deux hommes commencent leurs jeux meurtriers avec la famille.
Pour Haneke, ce remake américain, fidèle copie de l'original, est l'occasion d'étendre son discours dénonciateur de l'utilisation de la violence à l'écran au public américain, bien connu pour ses penchants pour les armes à feu. Décision louable, d'autant plus que ce n'est pas la violence en soi que dénonce Haneke mais son aspect voyeuriste. En résumé, jouer de la curiosité humaine face à un visage ensanglanté et vendre, ainsi, la violence comme divertissement. Funny Games prend totalement à contre pied cela et à même le mérite d’exécuter un tour de force, celui de démontrer que la violence a beaucoup plus d'impact lorsqu'elle n'est pas montrée. C'est d'ailleurs l'élément clé du film et le principal outil d'Haneke pour laminer le bon sens du spectateur. Privé de visuel, il ne reste à celui-ci que son oreille et sa propre imagination, difficile de rester impassible face à un tel film.
A partir de ce moment là, il s'agit plus de cinéma mais d'un véritable bras de fer psychologique entre le spectateur et ce petit jeu mené par Haneke. Jusqu'où le spectateur pourra le suivre et accepter les événements immoraux du film. Bien sur, tout cela est bien ficelé et le réalisateur usera intelligemment d'un suspens empathique où la seule attente du spectateur est d’espérer voir survivre cette famille. Paradoxalement et très certainement pour accroître cette position inconfortable, Haneke force des liens entre le spectateur et les deux hommes, les multiples clins d'oeil de Michael Pitt face caméra en sont la preuve. Luttant face au bon sens, le film tente de nous rendre complice de ces deux personnages et à son point culminant, celui où l'émotion ressentie est sans doute la plus forte, Haneke exécute l'impensable, le personnage armé d'une télécommande vient agir sur le film même, histoire de rejouer la scène comme il le souhaite. Libre au spectateur d'accepter cela.
Tout le film joue autour de ce suspens malsain et c'est ainsi qu'éthiquement il franchit des barrières qui l'éloigne de ce que l'on attend du cinéma pour le rapprocher d'une sorte expérience filmique comportementale... A vrai dire, ce n'est pas le traitement de la violence qui répulse dans Funny Games mais bien la complexité avec laquelle Haneke met en place ce jeu malsain. A croire que derrière son discours dénonciateur, il ne s'agirait pas pour lui d'un exutoire inavoué.