L'odyssée
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Lampedusa, une île italienne d’une superficie de 20 kilomètres carrés, située à 110 kilomètres de l’Afrique, nichée entre la Sicile et la Tunisie, et surexposée médiatiquement depuis quelques années. C’est sur cette île là que Gianfranco Rosi a choisi d’emmener sa caméra pour le tournage de son documentaire sorti en 2016 et récemment à l’honneur du Festival Dolce Cinema de Grenoble.
Le titre, Fuocoammare ou « mer en feu » renvoie parfaitement à la dualité de ce documentaire : à la fois une référence à une chanson populaire chez les habitants de l’île évoquant l’incendie d’un bateau au large de la Méditerranée mais avant tout une réalité pour les migrants au cœur de l’actualité brûlante. C’est dans ce contexte que l’on suit Samuele, un garçon de 12 ans qui vit sur cette île particulière. Il mène sa vie comme tout enfant de son âge aux côtés de son père et sa grand-mère, va à l’école et joue avec ses amis. Mais tout autour de lui, on ne parle que de la mer et des personnes qui tentent de la traverser dans l’espoir d’atteindre son île.
Sous l’œil bienveillant de la caméra, les séquences exposant le quotidien de Samuele s’enchainent, parallèlement à celles des migrants risquant leur vie en quête d’un avenir meilleur aux portes de l’Europe. Mais le plus surprenant dans ce film, c’est que ces deux mondes aux allures très proches sont pourtant imperméables l’un à l’autre : en 1h48min, pas une fois les migrants et les habitants de l’île ne sont amenés à se croiser. Et pour cause, au fur et à mesure des années et de la crise migratoire, la véritable frontière s’est déplacée des côtes de Lampedusa vers la haute mer, cette « mer en feu » peuplée de navires militaires allant à la rencontre des migrants. Ces derniers les amènent directement à la terre ferme d’où ils sont ensuite conduits vers des centres spécialisés afin d’être identifiés. Cette organisation justifie alors l’absence d’interaction entre migrants et locaux, un aspect qui renforce selon moi toute la cruauté du processus. Car jamais le regard de Samuele ne se posera sur ces femmes martyrisées, parfois enceintes, ou ces adolescents brûlés par le mélange d’eau de mer et de carburant. Les amas de cadavres gisant au fond des cales insalubres des embarcations n’auront de témoins que les yeux des quelques sauveteurs dépêchés sur les lieux.
Finalement, un seul personnage aura l’occasion de faire face aux deux parties. Il s’agit du médecin du village qui, en dehors de soigner les habitants, a également la lourde tâche de faire l’ « expertise » des corps. On ressent très vite le poids de la mission qui lui est confiée lorsqu’il explique que malgré son aspect routinier, il lui est tout bonnement impossible de s’y habituer. En effet, peu importe le nombre de corps de victimes de la traversée qu’il voit, la tâche n’en devient pas plus facile. Samuele et son innocence d’enfant demeurent donc la seule bouffée d’air frais offerte au spectateur plongé dans la triste réalité de Lampedusa.
À noter, en particulier, qu’au cours du tournage, entre 2014 et 2016, ce sont près de 370 000 personnes qui ont été secourues au large de l’île et 7500 qui y ont laissé la vie. Nul n’ignore la surmédiatisation à laquelle fait face Lampedusa et c’est justement le point de départ du travail de Gianfranco Rosi. Loin d’ajouter des images inutiles au flux déjà présent et constamment agrémenté par les journalistes, le réalisateur a d’abord préféré créer des liens avec les habitants. C’est pour cela qu’il s’installe plusieurs mois sur les lieux, faisant la connaissance de certains locaux, d’abord sans caméra. Puis, petit à petit, il laisse les récits émerger d’eux-mêmes. Ainsi, au lieu de raconter l’île de Lampedusa à travers la plus grande tragédie humaine du siècle, Rosi choisi de montrer l’inavouable en nous éclairant autrement que ce que l’on voit dans les médias. Avouons toutefois que certaines séquences vides de toute intérêt auraient pu être écartées sans pour autant nuire à la qualité du documentaire.
Au bout du compte, les deux phrases sur lesquelles s’ouvre le film et maintes fois répétées, « How many people ? What’s your position ? », peuvent tout aussi bien servir de conclusion à ce documentaire. Car si ces phrases sont à première vue adressées aux Africains luttant contre la mer au détriment de leur vie, elles peuvent tout aussi bien être destinées aux spectateurs et plus généralement à l’Europe toute entière témoin de ce drame à ses portes, dans l’attente de prendre position.
Créée
le 26 nov. 2021
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