Pleasure : "You're such a brave woman" [Critique par Frames]

Vous en conviendrez, l’affiche de ce film laisse peu de place au doute quant au thème abordé. La réalisatrice, Ninja Thyberg, a fait le choix stratégiquement choc de traiter de l'industrie du porno pour son premier long-métrage, faisant suite à son court-métrage homonyme paru en 2013. Elle revient ainsi 5 ans plus tard, avec cette version longue sélectionnée à Cannes en 2020, après avoir pris soin d'étudier son sujet en visitant régulièrement les coulisses de tournage de l’industrie du X à Los Angeles. On y suit donc Bella, une jeune suédoise de 20 ans qui décide de quitter son pays pour tenter sa chance aux États-Unis et dans l’espoir de devenir la prochaine star du X. Si elle fait initialement preuve de détermination et d’ambition, son parcours vers le sommet lui fait vite découvrir la réalité, c’est-à-dire un monde où le plaisir fait rapidement place à la toxicité.


Le but de ce film est clair : immerger le spectateur dans le monde cru de la pornographie, sans aucune retenue ou limite, au travers d’un regard neutre posé sur cette industrie, de quoi révéler la misogynie toxique dont elle fait preuve. À noter en particulier la performance incroyable de Sofia Keppel, dans le rôle de Bella Cherry, qui choisit ce film pour débuter sa carrière d’actrice, choix d’ailleurs étonnant. Il lui aura sans doute fallu du courage et de la détermination pour endosser un tel rôle. Elle parvient avec brio à susciter l’incompréhension chez le spectateur qui questionne les raisons qui l’ont poussée à emprunter ce choix de vie. Cela contraste d’autant plus avec le reste du casting puisque la grande majorité des personnages présentés sont joués par de réelles personnes du milieu pornographique. Il n’est donc pas anodin de découvrir Mark Spielberg, célèbre directeur de l’agence Spielberg Girls, réputée pour ses vidéos hard.


Pleasure offre une vision édifiante de cette industrie, sans pour autant être moralisateur, puisqu’il révèle son fonctionnement, aussi bien pratique qu’administratif. La signature des contrats stipulant l’abandon quasi total de leur corps aux acteurs remet vivement en question les limites du consentement des actrices face à certaines pratiques. Les scènes s’enchainent entre humiliations, violences physiques brutales et pressions face à certaines pratiques sexuelles… Ninja Thyberg parvient à mettre en image la manipulation dont font preuve ces hommes aux allures douces et compréhensives, afin de faire croire à leurs partenaires qu’elles prennent véritablement du plaisir, alors que celles-ci demandent à arrêter.


Certaines scènes s’apparentent presque au viol, d’autant plus que tout est fait pour faire culpabiliser toute actrice qui oserait ne serait-ce que se plaindre. Car si la jeune femme croise quand même quelques hommes attentionnés et soucieux de son bien-être, ces derniers sont vite éclipsés par des partenaires violents amateurs de porno hardcore, de vieux pervers camouflant leurs fantasmes derrière des motifs professionnels ou encore des acteurs fétichistes tout aussi indifférents à son sort… L’envers du décor est montré avec un tel réalisme qu’il instaure un sentiment de dégoût face à cet univers pornographique, aux apparences quasi sadiques.


Paradoxalement, le film aborde aussi le culte de la performance chez les acteurs, dépendants de leur sexe et obligés d’être toujours au top de leur condition physique, quitte à se mettre en danger en s’injectant certaines substances. Les actrices aussi ne sont pas en reste puisque celles-ci se voient contraintes de procéder à des « douches vaginales » répétitives et dangereuses pour leur santé. Or, justement, il s’agit-là d’une des limites du film que l’on pourrait reprocher à sa réalisatrice. Le scénario ne fait qu’exposer de brèves séquences abordant ces thèmes pourtant sérieux alors qu’il aurait très bien pu aller au bout de son objectif en expliquant les conséquences désastreuses que cela engendre et les nombreuses maladies qui y sont liées, en guise de mise en garde. Par ailleurs, la fin est amenée de manière assez abrupte de sorte qu’elle laisse un sentiment d’inachevé déplaisant. Ninja Thyberg aurait peut-être pu développer encore plus en profondeur le personnage de Bella, prisonnière de son rêve de gloire, mais dont on sait peu de choses finalement.


En bref, c’est un film dérangeant mais très bien interprété, qui n’hésite pas à plonger ses spectateurs dans un inconfort déroutant.

FramesJanco
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le 4 nov. 2021

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