Le maître du haut chaos
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le 23 sept. 2022
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Écrire une critique sur Athéna, c'est devoir trancher dès le début entre faire une ode à la magnifique réalisation du film et appuyer une critique à charges sur l'initiative politique de Romain Gavras. Je vais pourtant essayer de faire les 2.
Athéna, déesse de la sagesse, de la stratégie militaire, des artisans, des artistes et des maîtres d'école est le nom donné à ce film d'1h37 d'action continu. Diffusé uniquement sur Netflix, le film a été réalisé par Romain Gavras à qui l'on doit le film Notre jour viendra. Fasciné par les luttes d'auto-détermination, il collabore avec le réalisateur Ladji Ly pour le film Les misérables, film qui remporte en 2020, 4 césars dont le césar du meilleur film. C'est sur cette lancée que Romain Gavras se lança dans son projet Athéna accompagné encore une fois par Ladji Ly.
La toile de fond du film et les thèmes abordés se rapprochent de ceux abordés dans les misérables. Athéna prend pour décor le quartier du parc aux Lièvres à Évry-Courcouronnes et s'attelle à mettre en image la quête de justice des cités face aux violences policières. On suit les 3 frères d'un jeune d'une cité de région parisienne tué dans ce qu'il semble être une bavure policière. C'est dès l'ouverture du film que Romain Gavras impressionne par 2 plans séquences coup sur coup en pleine action. Ce procédé qui consiste à filmer une scène en 1 seule prise est particulièrement complexe car tous les éléments à l’image doivent être correctement ordonnés. La caméra en mouvement à hauteur d'homme donne cette impression de participer à l'action. Cette forme travaillée, c’est l'une des grandes caractéristiques de ce film. Tout au long de ces 1h37, Romain Gavras ne cesse d'impressionner par ses choix audacieux pour mettre en image la lutte des jeunes de cité. La cité du parc aux Lièvres où se déroule le film est organisé tel que les affrontements entre la police et les jeunes ressemblent à un siège médiéval.
Centrer le film autour des frères de la victime est très efficace. Ces 3 frères aux antipodes en termes de valeurs vivent le soulèvement de la cité de manière complètement différente et le spectateur par ce procédé possède trois points de vue de l'insurrection. Dans l’élan du film les Misérables, Romain Gavras démontre sa maîtrise des scènes d'action. La particularité de son approche est qu'il semble par ses prises conserver de l'ordre dans le chaos. La bande son est particulièrement marquante durant ces scènes et ajoute un caractère épique à ces dernières. Certaines scènes empêchent cependant de se plonger totalement dans le récit par leur manque de réalisme. Néanmoins, le spectacle visuel camoufle la plupart du temps la faiblesse des dialogues en pleine action.
Le personnage de Karim se situe au centre du récit. Il catalyse la recherche de justice des jeunes de cités. Il représente aussi son pan le plus radical n'hésitant pas à utiliser des moyens de moins en moins moraux. À l'opposé, son grand frère, militaire français symbolise l’intégration et l’attachement à la France. C'est leur opposition idéologique qui va rythmer le récit. L'organisation et l'ordre des jeunes insurgés est sûrement l'un des éléments les plus marquants du film. Cette autonomie face à des forces de police toujours plus nombreuses contraste avec leur jeune âge
Le film se conclut malheureusement de manière incohérente. La dernière scène invalide pratiquement tout le film qui se veut être au premier abord une vindicte contre les violences policières. La conclusion des 3 frères laisse un goût amer. Le film perd le peu de symbolisme qu'il possédait au profit d'une forme magnifiée.
Malgré tous ces atouts, admirer la forme de ce film me paraît quelque peu coupable. Il s'agit en effet d'une énième représentation stéréotypée des cités. Cela s'observe particulièrement dans les dialogues qui suivent une longue tradition de dialogues stéréotypés que l’on a pu entendre ces dernières années à travers le grand écran français. En dépeignant une cité de France en terrain de guerre, Romain Gavras envoie un message politique malgré lui. Il s'agit de la même problématique qui frappa les réalisateurs du film Bac Nord. Les réalisateurs ne peuvent plus feindre l'ignorance quand leur film est politisé malgré eux.
Les banlieues françaises souffrent de cette représentation partielle ou stéréotypée et Romain Gavras malgré lui contribue à cela. Certes l'autodétermination est le principal message de son film mais ce message s'inscrit dans un contexte particulier qui fait qu'il est souvent rapidement balayé par des considérations identitaires.
Comprendre que filmer des banlieues est un acte politique est la première étape dans le long processus pour donner à ces banlieues une réelle représentation loin des préjugés de violence quotidienne. Romain Gavras et Ladji ly ne semble pas encore l'avoir saisi.
Créée
le 19 oct. 2022
Modifiée
le 17 oct. 2022
Critique lue 107 fois
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