Le pitch est aussi court qu'efficace : un innocent suspecté d'appartenir à une bande de ravisseurs qui sévit dans la région est placé en garde à vue dans une petite bourgade. Rapidement ses habitants devenus hystériques décident d'en découdre avec lui faisant fi de sa présumé innocence. Malgré l'opposition des forces de l'ordre, le commissariat est pris d'assaut puis incendié et son détenu laissé pour mort. S'ensuit un procès pour meurtre engagé par la fiancée et les frères de la victime à l'encontre de vingt deux lyncheurs. Mais derrière cette accusation passible de la peine de mort, un homme tapit dans l'ombre tire les ficelles dans le seul but d'assouvir sa vengeance (vous avez devinez qui si vous ne l'avez pas vu).
Le pitch, il faut l'avouer, ferait baver n'importe quel réfractaire au cinéma des années 30. Le film dans son ensemble en revanche... Rien n'est moins sûr. Et pourtant qu'il est beau le monde qui y gravite autour qu'il soit à la mise en scène (premier film américain de Lang), à la production (Léo Mankiewicz), à la composition (Franz Waxman) ou devant la caméra, des premiers rôles (Tracy et Sidney) aux seconds plus prestigieux encore (Cabot et Brennan). Mais ce n'est pas sur la forme que le film pèche mais sur le fond. Ça peut sembler paradoxal tant on sait l'ami Lang un homme droit à la morale inébranlable. Et c'est d'ailleurs peut-être ça le problème. Car le grand moralisateur qu'il est en fait trop et n'hésite pas à verser dans la démonstration quitte à endosser à la fois les costumes de juge et de partie. Je m'explique. La première partie du film (le lynchage) est très bonne, savamment orchestrée, bourrée de suspens et brillamment filmée. Elle est si bonne qu'elle se suffit à elle-même. Et c'est vrai tout y est déjà dit : l'hystérie collective naîtrait de la conjoncture de l'ennui inhérente au chômage et de la violence intrinsèque de la population en manque de sensation forte et assoiffée de sang, la foule serait une unité autonome incontrôlable une fois lancée, armée et alcoolisée et les pouvoirs publics auraient, ou pas, intérêt à cautionner se genre de débordements en période électorale pour s'assurer quelques bulletins supplémentaires (du pain et des jeux quoi). Le problème est que Lang vient y greffer un procès de trois quart d'heure pour nous expliquer point par point ce qu'ils venaient de sous-entendre. Au cas où on aurait pas compris. Il prend le costume trois pièces de l'accusation au début du film puis, tel un transformiste, la robe de juge à la fin pour condamner sèchement. Pas très fair-play Fritz. Cette démonstration vire à la leçon quand Sylvia Sidney, voulant calmer les ardeurs de son fiancé, en remet une couche : "A mob doesn't think. It hasn't time to think". Stop.
Lang n'évite donc pas l’écueil de la facilité qu'il avait pourtant sagement contourné dans M, le maudit cinq ans plus tôt. Dans le genre hystérie collective et rumeur grandissante, Léo Mankiewicz, qui produit, fera également beaucoup mieux dans People Will Talk en 1951 ainsi que Wyler en 1961 (The Children's Hour) et surtout Penn en 1966 avec son chef d'oeuvre The Chase.