Première œuvre de Lang à Hollywood, lui qui vient de quitter l’Allemagne nazie pour collaborer ici avec le tout jeune (et futur grand) Joseph.L. Mankiewicz. Le réalisateur allemand reprend un thème abordé par le passé sous divers aspects, celui d’une société de masse composée d’opprimés et d’opprimants : là où les hordes d’ouvriers semblaient aveuglés par leur soif de destruction dans Metropolis, là où toute la population se mettait à traquer un individu instable et faible dans M Le Maudit, Furie reprend le schéma ici du type ordinaire au mauvais endroit au mauvais moment, sur lequel va s’abattre une foule monstrueusement cruelle et déshumanisée.


Joe Wilson (Spencer Tracy), mec sans histoire parti récolter un peu d’argent avant son mariage, va finir par être accusé d’enlèvements dans une petite bourgade où le déferlement de haine de ses habitants aveuglés par la vengeance finira par un lynchage incendiaire. Celui qui voulait simplement trouver sa place dans la société devient, sous la pression d’une foule monstrueuse, le parfait coupable à condamner sur le champ. Nous prenons très vite parti pour ce pauvre Joe, habité à son tour par une vengeance extrême ressentie de façon aussi inconditionnelle par le spectateur. Par le personnage de Katherine, la compagne de Joe, nous comprenons alors progressivement que le jugement de Joe/notre jugement est tout aussi cruel, hâtif et catégorique envers les 22 accusés de lynchage : nous dérivons du statut de victime à celui de tortionnaire, du rôle d’accusé à celui de juge et, c’est bien là que réside l’intelligence du propos. A l’instar de Spencer Tracy, d’abord souffre-douleur et martyr puis véritable Némésis furieusement animé de vengeance, nous ressentons cette même détermination à envoyer 22 âmes à la potence, tout en se basant rappelons-le au départ sur une erreur. Chacun se fait inquisiteur et arbitre des actes de l’autre Partie et, Lang nous renvoie alors judicieusement aux contextes de l’époque : les masses agitées par les nazis depuis trois ans en Allemagne et les peines de mort aux Etats-Unis devenues des dénouements commodes et acceptés.


Lang interroge malicieusement notre conscience, notre libre-arbitre, notre raisonnement par la transformation de la proie en bourreau et des tortionnaires en victimes. Finalement, qu’est-ce que la Justice dans un Etat de Nature sans règles où l’anarchie règne et où une masse d’hommes désignent un bouc-émissaire - de la même manière- qu’est-ce qu’un Etat de Droit où les règles applicables permettent de condamner à mort 22 personnes pour un même événement ? L’un et l’autre paraissent être des positions extrêmes mais prennent également un angle légitime. Quoi qu’il en soit, Lang, ayant fait ses preuves notamment dans le cinéma expressionniste aux récits hautement symboliques, réussit avec furia et concision à poser ici une réflexion tout aussi symbolique sur la nature humaine, sur la Justice et surtout, le fébrile rapport de l’un à l’autre.

Créée

le 7 mars 2019

Critique lue 630 fois

32 j'aime

9 commentaires

Palatina

Écrit par

Critique lue 630 fois

32
9

D'autres avis sur Furie

Furie
Palatina
9

And Justice for All.

Première œuvre de Lang à Hollywood, lui qui vient de quitter l’Allemagne nazie pour collaborer ici avec le tout jeune (et futur grand) Joseph.L. Mankiewicz. Le réalisateur allemand reprend un thème...

le 7 mars 2019

32 j'aime

9

Furie
pphf
7

La découverte de l'Amérique

Fury est le tout premier film américain de Fritz Lang, après son départ d’Allemagne, à la suite des pressions de plus en plus marquées exercées par le Dr Goebbels et ses séides (dont la propre...

Par

le 17 déc. 2014

23 j'aime

Furie
Docteur_Jivago
8

L'Ivresse de la Vengeance

Fuyant l'Allemagne, et après une escale parisienne guère mémorable, Fritz Lang débarque sur le sol américain en 1934 et sort, deux ans plus tard, son premier film hollywoodien, Fury où il frappe fort...

le 18 mai 2020

22 j'aime

2

Du même critique

Caché
Palatina
8

imagerie de la conscience

Un long plan d'un croisement de deux rues, au fond une maison. Tout est statique ou presque, quasi-figé. Nous nous attendons à ce qu'il s'y passe quelque chose. Une femme sort de la maison. Un...

le 13 nov. 2015

48 j'aime

8

Her
Palatina
7

Le cœur à l'épreuve d'une romance informatisée

Un homme. Solitaire. Tendre. Négligemment dépressif. Il est à la fois geek et épistolier talentueux. Théodore (Joaquin Phoenix) manie en effet avec brio les doux mots d'amour, telles que ses rimes...

le 17 janv. 2015

38 j'aime

9

Silence
Palatina
7

La Foi selon Scorsese

On dit qu’aimer, c’est la moitié de croire. « Aimer Dieu » et « croire en Dieu » restent néanmoins deux pans fort distincts, fort distants. Ils se révèlent d’abord être un choix en âme et conscience...

le 10 févr. 2017

34 j'aime

8