Ce cinquième film de l'univers Mad Max s'ouvre ainsi sur l'image d'un vieil homme dans le désert, et sur ces quelques paroles résonant dans la nuit : "Alors que le monde s'effondre autour de nous, comment affronter sa cruauté ?". Fondu au noir. Emerge ensuite le visage de la Terre. Par un zoom progressif, la caméra se fixe sur un point au milieu du désert australien ; une pêche, pleine de vie et prête à être cueilli. Par cette parenté de forme entre la planète et le fruit, et l'opposition entre la sécheresse de surface de l'un et la nature juteuse de l'autre, le cinéaste George Miller fait correspondre une vision suprahumaine du monde à un point de vue à hauteur d'Homme. La démarche n'est pas sans rappeler son précédent film, l'étonnant Trois mille ans à t'attendre, qui faisait finalement des grands récits mythologiques, la chair du monde tangible. A la différence que Miller se place cette fois à l'intérieur de la machine à mythe.
Furiosa narre donc l'odyssée de Furiosa, de son enlèvement de la Terre Verte par une bande de motards aux événements de Fury Road. Raconté par ce vieil aède appelé l'Homme Histoire, Furiosa se découpe en chapitres qui sont autant d'étapes dans son long voyage et sa quête de vengeance. S'étalant sur un temps long - quinze ans, selon le réalisateur - Furiosa se devait de trancher avec le précédent épisode, dont l'action était, à l'inverse, concentrée sur une courte période. L'urgence de Fury Road, qui se caractérisait principalement par une frénésie dans le montage, laisse donc place à une surprenante mais néanmoins évidente économie ; moins de coupe, et des plans plus long. Une modération dans la forme qui, en plus d'assoir la cohérence du film, révèle pleinement la capacité de George Miller à scénographier ses assauts. Ce qui était alors déjà perceptible dans Fury Road éclate ici au grand jour, particulièrement lors de cette longue et folle attaque d'un camion-citerne par des parapentes et engins volants. Le personnage de Furiosa y fait à cette occasion la démonstration de son sang froid et de sa férocité, traits de caractère qui participent à la construction du mythe de la femme forte et libre sur lequel reposera son action dans Fury Road.
De même, alors qu'Anya Taylor-Joy en est la tête d'affiche, Miller retarde l'arrivée de son actrice phare : il faudra ainsi patienter presque une heure avant que la jeune actrice interprétant Furiosa enfant ne se voit remplacer à l'écran par la star de Split et de Last Night in Soho. Un choix qui démontre la totale maîtrise du film par son créateur, bien décidé à ne rien concéder aux exigences du cinéma à grand spectacle de notre époque.
L'autre surprise du film est Chris Hemsworth. Si l'acteur australien joue pourtant sur un registre auquel il est familier, et s'il n'est parfois pas exclu de penser que Dementus est une version cinoque de son Thor (sans que ce parallèle ne soit clairement établi dans le film comme un coup de coude réservé à celles et ceux qui ont la "réf" ; là réside l'intelligence de Miller), la roublardise grotesque qu'il apporte à son regard en fait un animal sauvage tout à fait fascinant à observer sur les 2h25 de métrage. Son couplet final, déchirant par endroit sur la nature humaine, se clôture sur son (un peu trop) littéral "Est-ce que tu as ce qu’il faut pour devenir un mythe ?" qui vient alors remarquablement raccrocher le wagon Furiosa à la locomotive Mad Max et à Fury Road, qui se trouve finalement être la réponse à cette passionnante question.
De la mécanique de précision dissimulée dans un gros moteur ; voilà ce qu'est Furiosa.