Mad Max : Fury Road est désormais un monument du cinéma d'action, un chef-d'œuvre salué pour sa pureté formelle et son intensité sauvage. Depuis 2015, ce film a redéfini l’idée même d’action sur grand écran, privilégiant l'authenticité des cascades et l'immersion brute dans un monde post-apocalyptique. George Miller, à l’âge de 80 ans, revient avec Furiosa, un film centré sur le personnage éponyme qui avait déjà éclipsé Max dans le volet précédent. Mais cette fois, le cinéaste se confronte à une question inévitable : peut-on renouer avec l’énergie de Fury Road sans se répéter ?
Le défi est de taille. Si l’on s’attend à une intensité similaire à celle du précédent film, il faudra sans doute revoir ses attentes. Furiosa n’est pas une redite, mais une exploration du passé, un préquel qui se démarque par une ambition narrative et une approche plus mesurée. La première demi-heure nous plonge dans l'enfance de Furiosa, une jeunesse traumatique façonnée par le chaos du Wasteland. Ces 40 minutes, plus lentes et réfléchies, contrastent avec la folie du film précédent, mais permettent de poser les bases d’une mythologie qui voudrait rivaliser avec celle de grandes épopées.
Le film de Miller, loin de se contenter de relater des scènes d'action spectaculaires, aspire à l'ampleur d'un mythe, celui de Furiosa. Mais là où Fury Road brillait par sa simplicité d’approche et sa ligne directrice claire, Furiosa peine à maintenir une dynamique fluide. Les éléments introduits, comme l'origine de son bras manquant ou son ascension dans les convois, sont autant de pièces qu'on aurait préféré laisser à l’imaginaire, comme c'était le cas dans le film précédent. Une part du mystère, de l’aura, est perdue dans ces révélations parfois fétichistes, destinées à contenter une forme de fan service. Le tout est un peu trop explicité, comme si chaque détail devait être justifié.
L’esthétique visuelle du film, elle, semble elle aussi retomber dans la facilité, notamment avec l’utilisation excessive des effets numériques. Si Fury Road se distinguait par ses paysages réels et son action en prise de vue directe, Furiosa est souvent submergé par une surabondance de CGI qui dilue l'impact de certaines scènes. Ce n’est pas que les images soient mauvaises, loin de là, mais elles manquent de la rugosité et de la pureté que George Miller avait su imposer avec son film précédent. Ainsi, les scènes de poursuite – toujours excitantes, il faut l’admettre – n’atteignent jamais la même intensité que celle de la mythique course-poursuite de Fury Road. D’ailleurs, la séquence qui devrait constituer le climax du film, celle dans le moulin à balles, est une occasion manquée, en partie transformée en un spectacle trop pixelisé qui, malgré son envergure, n’a pas le même impact.
Dans le même ordre d'idées, l'arc narratif de Furiosa, bien qu'intéressant, n’arrive pas à se hisser à la hauteur de l’iconique trajectoire de Max dans Fury Road. La vengeance de Furiosa, si elle est bien présente, semble plus un prétexte qu’une véritable quête. C’est là une grosse déception, car ce film avait le potentiel d’aborder quelque chose de plus épique, de plus tragique, mais il se contente d’un parcours quelque peu balisé. Si l’on retrouve de grands moments de bravoure – comme la scène où Furiosa perd son bras, d’une violence saisissante –, l’ensemble peine à se renouveler. L’ajout de nouveaux personnages, comme le méchant incarné par Chris Hemsworth, ne parvient pas à enrichir le récit, et le film tombe parfois dans le travers du cliché, notamment avec ce rôle christique un peu trop forcé.
Au final, Furiosa est un film qui, tout en restant au-dessus du lot en matière de cinéma d’action, n’échappe pas à un sentiment de déjà-vu. Les moments de folie, de pure sauvagerie, sont là, mais ils sont souvent noyés dans une continuité qui n’apporte rien de nouveau à la saga. Ce n’est pas que le film soit mauvais, loin de là, mais il manque la prise de risque qui avait caractérisé chaque volet de Mad Max jusqu’à présent. Furiosa ne rompt pas avec la formule ; au contraire, il l’assouplit et l’adapte, au détriment de la radicalité qui faisait le sel de la saga.
Si Miller avait commencé avec Furiosa plutôt qu’avec Fury Road, alors jamais une suite ne lui aurait été permise. Ce film, malgré ses qualités et son univers riche, aurait été perçu comme trop superficiel, trop tributaire d’un monde déjà bien ancré dans l’imaginaire collectif et le cinéma. Ce n’est qu’après le rugissement de Fury Road que Furiosa a eu la possibilité d’exister, parce que ce film-là, ce dernier, a su marquer son époque avec une énergie et une originalité qui ont transcendé les simples limites du genre. Furiosa, quant à lui, aurait probablement été un projet avorté si il n’avait pas porté en lui la promesse d’étendre l’univers déjà établi. Mais ce n’est pas une raison pour fermer les yeux. En toute honnêteté, j’ai du mal à accepter une macro-qualité en-dessous de ce que Fury Road a accompli, surtout lorsqu’on en vient à faire une comparaison directe. C’est le dilemme des suites de chefs-d’œuvre classiques : si d’un côté, on se retrouve à les défendre presque religieusement, de l’autre, on devient intransigeant quand une suite ne parvient pas à franchir le cap de l’excellence. C’est là que le bât blesse.
Cela dit, il y a des aspects qui me réjouissent toujours autant, comme l’excentrisme des personnages et l’extravagance qui détonne si bien dans ce monde post-apocalyptique. On se réjouit de cette transposition, où un char romain est remplacé par des motos, une idée follement originale et parfaitement adaptée à l’univers. Quant à Chris Hemsworth, même si son personnage est excessivement caricatural et volontairement exagéré, il parvient à s’imposer comme une figure iconique. Bien que sa stupidité soit manifeste, il mérite tout de même une place parmi les grands méchants du cinéma.
En somme, même si Furiosa peine à atteindre l’intensité et l’originalité de Fury Road, il réussit à faire perdurer l’esprit de la saga, offrant une aventure solide qui, tout en étant en dessous des attentes, reste un prolongement indéniablement fidèle à son univers.