L'histoire devint une légende, la légende devint un mythe

Il était attendu au tournant, celui-là. Mad Max Fury Road, c'est l'un des plus grands accomplissements du cinéma d'action du XXIème siècle, une référence absolue qui n'a malheureusement pas essaimé autant qu'on l'aurait souhaité vu qu'on s'est tapé une décennie de marveleries derrière. George Miller avait relancé sa franchise avec comme toujours la volonté d'en étirer absolument toutes les proportions : On est quand même passés en près de 40 ans d'un film de vengeance routier avec des crashs de bagnoles montrant le peu d'estime que les australiens accordent à la vie humaine à un film qui a posé les bases esthétiques (= sadomaso et motorisées) et thématiques du post-apocalyptique, puis on a enchainé sur un pur film post-apo à base de radiations et d'enfants de merde pour enfin aboutir sur une sortir de best-of, l'acmé de tout un imaginaire résumé en un film somme, brut et d'une maitrise esthétique et technique hallucinante.

Donc comment faire mieux quand on a déjà fait mieux ? Bah on fait différemment.


Furiosa n'est pas un Fury Road II.

C'est très important. Dites absolument tout ce que vous voulez du film, c'est votre droit, mais tant que vous n'aurez pas imprimé cette idée, restez éloignés le plus possible d'un écran d'ordinateur ou d'un smartphone s'il-vous-plait, merci.

On a d'ailleurs l'impression que Miller a tout fait pour rendre ce constat aussi clair que possible : Fury Road, c'est 3 jours et un aller-retour ? Furiosa, c'est 20 ans et plusieurs allers-retours entre différents lieux. Ce n'est pas un film d'action, c'est une aventure. C'est même dans le titre : C'est une "Saga". Aujourd'hui quand on emploie ce mot, on pense aux 6 Star Wars et au fond de cuvette de Disney, ou bien à la presque trentaine de James Bond, mais l'ambition du réalisateur est clairement de revenir à ses fondements mythologiques. On va ainsi suivre l'épopée d'une petite fille qui va partir bien malgré elle à l'aventure pour se venger et qui va progressivement accomplir des exploits qui vont la former et la transformer en guerrière inarrêtable, et au passage on se ravit les mirettes parce qu'Anya-Taylor Joy avec du cambouis sur la gueule et une veste en cuir c'est... Un nouveau kink que je ne me connaissais pas.

Alors oui, ce film va nous montrer comment va naitre la Furiosa qu'on connait. De ses cheveux rasés à sa prothèse, on saura comment elle a obtenu tous ses traits distinctifs, mais contrairement à un Solo probablement écrit par quelqu'un qui voue une haine absolue à l'industrie du cinéma dans son entièreté, ici le fait d'étaler le film sur deux décennies permet d'amener ces nouveaux éléments de façon naturelle et crédible, et non pas de tout rusher en 48h pour le fan-service débile.

On retrouve tous les motifs d'une épopée : Une héroïne exilée loin de chez elle (Eve chassée du Paradis), partie réclamer vengeance à un sombre mélange entre un prophète et un seigneur de guerre, passant pour cela par un royaume corrompu (Sodome et Gomorrhe, Babylone,...) et rencontrant une série de figures archétypales : conteur, judas, amant,...

A ce titre Miller crée une rupture très nette entre la saga Mad Max et Furiosa, et ce au travers de la figure de Max, justement. Son film en crée 2 avatars : Jack, d'abord. La figure mêlant mentor et amant, qui a tout l'attirail du héros interprété par Mel Gibson, mais qui connaitra une fin misérable dans une scène tragique faisant évidemment écho à une scène du tout premier Mad Max impliquant un couple. L'autre avatar, c'est Dementus. Au travers de son écriture et du jeu du comédien (Chris Hemsworth qui prouve qu'on peut passer 10 ans chez Marvel mais rester un acteur), on comprend que c'est un Max raté, incapable de devenir un héros puissant qui va changer le monde ou un leader cruel et charismatique comme Immortan Joe. Chris Hemsworth en fait une figure ambiguë, aussi intelligente que naïve, aussi cruelle que pathétique, aussi flamboyante que fantoche. Ces deux personnages servent à Miller pour exposer son constat : Tout le monde ne peut pas devenir un Max, pour un Max, il y aura des dizaines de Dementus. Quand tous ceux que tu aimes sont morts sous tes yeux et que le monde s'est effondré en même temps que le mur porteur de ta santé mentale, tu as le choix entre l'espoir et le désespoir. Dementus est peut-être le plus fascinant méchant de la saga car il dégage une noirceur abyssale dissimulée derrière son attitude grand-guignol et ses discours lettrés. Jack aurait pu devenir un porteur d'espoir, mais parfois le monde est juste trop fort pour nous. Et si les héros ont échoué, peut-être est-ce temps de laisser la place à une héroïne. Pas qu'elle soit meilleure qu'eux, notez bien, mais peut-être a-t-elle les moyens d'offrir de l'espoir à un monde qui n'en a plus.

Le film fait ainsi une belle boucle avec Fury Road sans chercher à le reproduire. Bien sûr on a toujours des scènes d'action, elles sont d'ailleurs toujours aussi génialement mises en scène, notamment le morceau de bravoure sur le porte-guerre qui propose une extension de ce qui avait déjà été fait, et la caméra de Miller sublime absolument tout. Le nombre de traveling complètement déments, avec des dizaines de figurants qui s'agitent et exécutent parfaitement leur chorégraphie, c'est du travail d'orfèvre. Au passage, concernant les CGI qui faisaient peur à tout le monde pendant la promotion du film, ça va. D'accord, un ou deux fonds verts bavent un peu, mais le film est tout aussi viscéral et poisseux que le précédent, les images de synthèse arrivent à faire corps avec la tôle froissée bien réelle, donc on n'a aucun problème d'immersion, au contraire.


Comme toujours avec Mad Max, George Miller repousse les limites. D'un film de vengeance routier, on est passés à une mythologie post-apocalyptique qui revient aux fondamentaux. C'est l'histoire de la naissance d'une plus grande histoire encore. La mort des héros, l'éveil d'une nouvelle légende. Homère a raconté l'histoire d'un roi qui rentre chez lui après avoir triomphé d'une cité imprenable, Miller raconte celle d'une furie qui part de chez elle pour conquérir son propre royaume.

Un épisode de plus sur la fresque.

Arkeniax
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes En 2024, j'ai vu (et revu)... [Films commentés] et Les meilleurs films de 2024

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le 27 mai 2024

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