Il semblerait effectivement que le jour de noël soit arrivé.
Au milieu des champs de poussière, de la chaleur de Java et de l'humidité des palmiers fut tracé le tableau grandiose d'une page de l'histoire.
Confrontation culturelle sur de nombreux plans. La lâcheté britannique aux yeux des japonais qui prônent la mise à mort plutôt que la captivité quand dans l'autre bord les avis sont inversés. Duels de regards noirs comme la plus sombre des encres et d'un bleu vairon, cheveux blonds arrachés et pleurs ravalés.
Flash-back fleuris et chantant à l'aura dramatique, gros plans humoristique avant une exécution, plongée particulière.
Voici un ovni qui n'a pas pris la moindre ride, à travers un traitement trop japonais ou une réalisation parfois délirante.
Que dire alors des interprètes ? Doux, durs ou effrontés, Sakamoto et Bowie se regardent, s'affrontent, s'aiment et se meurent.
De ces protagonistes sublimes, Oshima offre des rôles secondaires possédés. Kitano plongé corps et âme dans une humanité perdue. Tics et brutalité vivace retrouvant les valeurs japonaises, la complicité et une certaine poésie dont émergera le titre ravageur. Son faciès englobe le plan final avec une majesté sans faille qui tire les larmes les plus folles. Tom Conti au personnage perdu au milieu de cet océan de cultures campe un british tout en pensées et en colère.
Au delà de ces aspects plus ou moins techniques, Merry Christmas Mister Lawrence suinte la sensualité en puissance. Chaque plan en est composé. Le lieu propice à la labeur, à l'exploitation, à la torture et à la mort se mute en terrain sentimental indécis qui se précisera petit à petit. Pourtant rien ne sera grossièrement présenté. Toute la distinction et l'honneur des cultures (tant japonaise qu'anglaise) priment face aux passions interdites. Au titre d'un regard, ce sera pourtant avec grand mal que l'amour sera caché et que la honte publique sera évitée. Objet d'un désir devant être cruellement ravalé, le corps de Bowie est séparé de son faciès trop parfait pour que ce dernier brûle, prenne feu et disparaisse à jamais.
Le film atteint alors son apogée à l'instant d'un baiser amoureux et pacifiste entre les deux protagonistes pour dévier la mort. Un Bowie fier et meurtri qui s'avance élégamment face à Sakamoto déstabilisé et pose ses lèvres contre sa joue au rythme d'un ralenti saccadé. Évanouissement, rage, souvenirs, exécutions, regrets, silence et musique... Si grande musique.
Nagisa Oshima signe ici l'un des plus beaux films que j'ai pu voir de mon existence.