Gabriel et la montagne a cette particularité qu’il est un film brésilien entièrement tourné au Kenya, en Tanzanie, en Zambie et au Malawi. Quatre pays pour quatre chapitres qui rythment et délimitent les déplacements géographiques de Gabriel Buchman, ce garçon mystérieusement disparu en Afrique en 2009. En vérité, ces délimitations ne sont pas très utiles si ce n’est pour effectuer chaque fois un rapprochement vers la propre mort du personnage dont on sait depuis l’ouverture qu’elle intervient sur le mont Mulanje.


 Felipe Barbosa m’était inconnu avant Gabriel, j’y allais donc avant tout pour le voyage promis et aussi parce que ce titre, quelque part, m’évoquait cette splendeur d’Herzog qu’est Gasherbrum, la montagne lumineuse. D’Herzog, il y a peu, bien que l’ouverture rappelle beaucoup celle d’Aguirre : Le plan, la musique, la grandeur, l’hypnose. Des agriculteurs fauchent les herbes hautes sur les chemins escarpés d’une immense vallée. Sous un rocher, l’un d’eux fait la découverte d’un corps.
Le film s’ouvre sur la mort et pourtant il sera incroyablement vivant. Il est sans cesse en mouvement, comme son personnage, il s’étire ici puis se disloque là, insère par instants des photographies du vrai Gabriel, utilise en voix off le témoignage (après sa mort) de ceux qui ont croisé son chemin. Sorte de journal filmé mais toujours dans un tempo de fiction, puisque le réel que Barbosa entreprend de conter au moyen d’éléments-indices (Témoignages, photographies, journal) ne se déploie jamais au détriment de la matière fictionnelle.
Le réel, finalement, on l’oublie. C’est un film aussi mystérieux que le continent sur lequel il s’aventure : On croit le comprendre mais il nous trouble l’instant suivant ; On arpente les bidonvilles ou villages, avant qu’il nous embarque dans des randonnées montagneuses ou sur la plage. On avance aux crochets de Gabriel, au gré des rencontres qui nourrissent son voyage. Les vraies rencontres que le vrai Gabriel a faites lors de son périple. C’est toute l’originalité du dispositif.
Pourtant, l’idée la plus originale à mes yeux c’est le traitement du personnage. Puisque c’était un ami proche du cinéaste, ce dernier aurait pu lisser son caractère, stéréotyper ses enjeux afin de préserver son intimité. Au contraire, Barbosa en fait un vrai personnage de cinéma, ambigu, désordonné, contradictoire, adorable puis détestable l’instant suivant. Sans doute pour tenter de percer son idéalisme, comprendre sa dimension suicidaire, ses désirs tentaculaires, sans doute aussi pour fusionner son voyage avec le sien.
On raconte que l’équipe technique s’est aventurée sur les terres de l’odyssée de Gabriel, rejouant les mêmes rencontres, traversant les mêmes endroits, jusqu’à gravir le Kilimandjaro. Meta-film mis à part, c’est aussi cette incompréhension que raconte le film : Ou comment un garçon issu de la classe brésilienne dominante, promis à un avenir brillant, intellectuel, choisit à ce point de s’oublier aux quatre coins de la terre, loin des circuits touristiques – et gravir le Kilimandjaro sandales en pneu aux pieds – jusqu’à littéralement s’évaporer ? Il y a du Fitzcarraldo dans ce personnage, du Klaus Kinski dans cet acteur, c’est à s’y méprendre.
C’est d’abord l’histoire d’un caprice, celui d’un garçon qui n’a pas supporté qu’on le mette sur liste d’attente à Harvard. Son périple (Faire le tour du monde en un an) c’est sa revanche contre ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues. Quand on fait le tour du monde, il faut de l’argent et Gabriel qui n’a que 20 ans n’en manque pas. Pourtant, il ne supporte pas l’idée occidentale qui consiste à se dépayser sur une terre pauvre. Lorsque sa petite amie passe le voir quelques jours en Tanzanie, c’est un sujet sensible, tant elle ne cesse de lui tendre un miroir qui lui rappelle son appartenance sociale.
Ne pas oublier qu’à cet instant du voyage (Le premier chapitre, après nous avoir présenté sa mort en introduction, s’ouvre sur ces mots « 70 jours plus tôt ») Gabriel n’est plus très loin de repartir au Brésil, il a sillonné le globe pendant dix mois, il trimballe donc forcément une bonne dose d’orgueil et d’arrogance. Il ne cesse d’ailleurs de répéter qu’il n’est ni un Mzungu (homme blanc) ni un touriste, comme pour s’élever à la fois contre l’Occident et en dominateur (Puisque tout en lui évoque une mentalité bourgeoise) sur l’Afrique. C’est presque le Brésil tout entier, celui d’aujourd’hui, que Gabriel incarne, dans ce grand rêve brisé par la mégalomanie – Sacrée révélation, par ailleurs, que ce João Pedro Zappa, sorte de fusion improbable entre Gael Garcia Bernal et Zlatan Ibrahimovic.
Gabriel et la montagne se ferme sur un procédé qu’on connait bien, consistant à balancer quelques photos pour accompagner le générique final. C’est très beau car on y remonte les derniers clichés pris par Gabriel, sa dernière rencontre avec cette femme dans un refuge, son arrivée au sommet, mais surtout la toute dernière photo prise sous ce rocher où il rendra son dernier souffle. C’est une photo floue, cadrée à l’arrache, une photo fantôme prise par un fantôme. C’est très émouvant en plus d’être un vibrant hommage.
JanosValuska
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le 14 oct. 2017

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JanosValuska

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