Gagarine ou la non miscibilité des genres

Ce métrage est semblable à une vinaigrette mal dosée qui pourtant avait de bons ingrédients. L’huile est assimilable à l’aspect documentaire et l’ancrage dans le réel du film. C’est ce qui fait glisser le propos et le sujet, ce qui lui donne corps.
Le vinaigre s’apparente quant à lui à l’aspect onirique et fantastique. C’est ce qui donne la subtilité du goût mais dans le cas présent est mal mélangé. On distingue des amas.
D’abord, il y a l’emploi de l’archive filmée avec l’inauguration de la cité par Youri Gagarine en 1963. Malgré mon affection pour les archives, son utilisation pose question puisque le visage de cette cité qui fut jadis une cité communiste ouvrière n’est plus. Cela ne sert uniquement qu’à étayer la métaphore et le parallélisme de la station spatiale et du cosmonaute qui deviendra au fur et à mesure du métrage de moins en moins subtile. Rien que le nom du héros manque de subtilité et crée une impression de parallélisme forcée comme si on nous tenait la main pour être sûr que l’on comprenne bien le sens. C’est ce manque de finesse qui fait passer la narration à ambition poétique à un récit en prose où les pages sont mal numérotés.

Ces archives peuvent être vu comme un vieux souvenir vintage pour ancrer l’histoire du protagoniste alors que la cité n’est plus du tout la même. C’est ce que j’appelle un ancrage désancré, pour donner du corps au film en vain.


Ce qui est notable c’est d’avoir voulu montrer la cité sous un visage radieux et positif, où les gens sont heureux, s’entraident et où la solidarité est de mise. En cela le film se démarque de la plupart des représentations de la banlieue au cinéma. Le seul souci c’est qu’on tombe dans un travers bisounours qui hôte la subtilité du message du film. Les difficultés sociales de la cité sont trop édulcorées. On voit juste que l’ascenseur ne marche pas et qu’il y a des éclairages collectifs défectueux.


Le film commence avec une superbe séquence fluide présentant la cité et ses habitants avec de merveilleux mouvements et transitions. Après, le film se perd.
Cette impression se situe dans le fait que le mariage entre documentaire et fantastique est complexe à opérer. Il y a peut-être une volonté de la part Fanny Liatard et Jérémy Trouilh de vouloir aborder trop de sujets avec élégance et originalité dans ce qui est leur premier long métrage. De plus, on reste dans un regard trop externe et dépersonnalisé qui nous empêche d’adhérer et être épris de ce qu’on nous donne à voir.
Le parallèle entre les rêves d’espace et la cité filmée comme un vaisseau spatial est un concept trop appuyé. On a l’impression que les metteurs en scène semblent davantage motivé par le lieu et l’exercice de style que les gens ce qui donne parfois l’impression de personnages et de dialogues fonctions.
Pourtant, leur démarche originelle semblait avec pour fondation la cité et ses habitants. Ils avaient débuté leurs recherches en 2014 lors d’un court métrage documentaire en récoltant de nombreux témoignages des habitants de Gagarine. Le film avait pour portée de se présenter comme outil de mémoire pour les habitants de la cité qui était déjà destinée à la destruction. C’est peut-être au moment de faire la bascule du documentaire vers la fiction qu’ils ont perdu des éléments et eu des difficultés à établir un bon équilibre. En tout cas, il faut souligner que la forme choisi pour parler des vrais habitants de la cité et de leurs attachements est tout à fait originale dans le paysage cinématographique français.

Néanmoins, cette volonté de montrer les relations ne prend pas car l’exposition ne la développe pas assez. Il manque de la substance dans les différentes interactions. Les personnages ne sont là que pour les dialogues ce qui rend l’histoire commune dissonante. Il manque soit un mélange plus fin et subtil des deux ingrédients soit de la moutarde pour faire du lien. Les grains de moutarde étant relatifs à la substance de chacun des personnages et à l’ancrage du récit dans un point de vue qui peine ici à se structurer.


Alséni Bathily qui interprète Youri me donne l’impression d’un personnage fonction. On ne nous permet pas de s’attacher. On ne le comprend pas et est trop caricatural. Il joue faux ou du moins de manière différente des autres créant un étrange décalage. C’est son premier rôle, en voici peut-être la raison bien que la direction d’acteurs ne soit pas forcément en reste. Alors qu’il se repli de plus en plus sur lui-même, le film nous en éloigne constamment alors qu’on devrait se rapprocher. De plus, sa quête de résistance en occupant les lieux ne nous tient pas en haleine car il est trop seul dans sa bulle et incompris. On ne croit ni à sa passion ni à l’univers spatial qu’il se construit. En outre, l’abandon par sa mère qui l’a sans doute amené à adopter cette attitude résiliente est mal traité et n’émeut pas.
Il en va de même pour le dealer perpétuellement énervé interprété par Finnegan Oldfield qu’on ne comprend pas.

Lyna Khoudri quant à elle est un personnage haut en couleur et bien interprété. C’est elle qui nous tient en haleine. Elle est réellement vivante et tient les personnages. Elle en est le liant du métrage. Youri, lui semble désincarné.
La faiblesse du film est qu’on n’assiste pas au cheminement et à l’évolution de Youri qui passe de l’état où la cité va être détruite à son acte de résistance. On est directement plongé dans son vaisseau avec ses serres intérieures. Le problème c’est qu’on se pose sans cesse la question de la vraisemblance alors qu’on ne le devrait pas. La suspension consentie de l'incrédulité ne tient pas. On voit surtout le décor et le travail d’accessoiriste. Ça parait trop factice ; il n’y a pas de subtilité. Ce qui devrait servir la narration la parasite. L’onirisme tombe presque comme un cheveu sur la soupe. De plus, on ne comprend pas l’agencement de certains décors et des arrivées de lumière trop maniérées. On ne ressent pas, on voit uniquement les intentions.
Ce n’est pas le geste en soit et sa voyance qui pose problème. En effet, bien des cinéastes aiment rendre visibles des gestes. Il aurait peut-être fallu les distiller tout au long du métrage sans une bascule totale de genre durant le métrage, ou rendre tout le décor et les personnages moins réaliste et documentaire dès le départ.
L’artificialité est mal amenée malgré une image léchée. Les citations du florilège spatial sont trop appuyées, comme par exemple des plans et des effets de lumières semblables à Ad Astra ou 2001 l'Odyssée de l'espace avec le casque et la lumière rouge du sas mais également les lumières jaunes de Blade Runner. La scène de Youri en apesanteur qui avait pour ambition de suspendre le temps perd tout son charme dans la mesure où l’on distingue les câbles. La poésie devient marionnette. Il en va de même pour Youri qui laisse une empreinte analogue à celle de Neil Amstrong sur le toit enneigé de l’immeuble.
La bande musicale du film est tout à fait bien employée durant la majorité du métrage, mais devient trop grandiloquente à la Interstellar sur l’épilogue car nous sommes restés dans un point de vue trop extérieur et détaché.
La séquence de la grue où le couple monte de nuit sonne comme un Pastiche, une version suédée de J’ai perdu mon corps qui avait lui sut mixer onirisme et regard sur la cité avec des personnages hauts en couleurs. Il est vrai que l’apanage de l’animation rend les bascules de genres et les seuils moins visible car elle échappe au photoréalisme.
Le point d’orgue de trop est le décollage de l’immeuble dans la stratosphère. Un plan laid et factice qui fait plus penser à La soupe aux choux qu’à un élément d’émotion. Le parallèle ou la métaphore de partir au lointain tel un beau souvenir aurait pu mieux fonctionner s’il était arrivé en même temps que l’explosion qui allait détruire la cité.
L’onirisme et la magie inclue dans le réalisme empêche la dureté des événements et d’éprouver de l’empathie. Les séquences oniriques ne donnent pas corps aux personnages et semblent être répartis de manière étrange.

On peut se poser la question du montage et de son impact quant au passage entre le tournage et le montage. A quel point le montage a engagé la réécriture du film par rapport à la vision des metteurs en scène lors de la réalisation ?
On peut donc se demander au vu de cette analyse, comment mêler un fait documentaire qui ancre par définition dans le présent avec une esthétique de SF qui désancre ? Le risque étant un effet d‘annulation mutuelle

En conclusion, ce n’est pas un film déplaisant à regarder. Il est plutôt divertissant mais il échoue à mon sens dans sa visée originelle. Il y a eu une transposition d’émotions entre la volonté de création et de réception. Ce qui devait nous émouvoir dans l’épilogue nous fait rire et sourire. Le métrage a tout de même le mérite de ne pas tomber dans la proposition banale.

SimonPetitjean
5
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le 11 juil. 2021

Critique lue 88 fois

Simon Petitjean

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