« Tu connais les banlieues célestes ? Les banlieues dans l’espace c’est ce qu’il y a autour des étoiles comme autour du soleil. Ça brille moins mais sans ça, l’étoile survit pas »
Le premier long métrage de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh est une véritable réussite, un astéroïde dans la galaxie du 7ème art qui vient s’écraser sur la planète française, énième preuve que notre cinéma est loin d’avoir tiré sa révérence.
Plutôt adeptes du format court (La république des enchanteurs, Chien bleu), les deux réalisateurs transitionnent parfaitement vers le long avec Gagarine, directement inspiré de leur première réalisation du même nom, longue de 15 min et sortie en 2015. Le film dépeint alors la vie de Youri, jeune adolescent de la cité Gagarine à Ivry qui rêve de devenir astronaute, tentant de sauver le bâtiment inauguré par le célèbre cosmonaute en 1963 et alors menacé de destruction. L’ensemble est d’ailleurs désormais détruit.
La première moitié du film apparait plutôt terre-à-terre, quasi réaliste, les réalisateurs filmant le quotidien de Youri à Gagarine, s’accrochant désespérément à un objectif illusoire : réparer seul l’ensemble laissé quasiment à l’abandon depuis plusieurs années. En témoigne d’ailleurs les premières scènes du film, composées d’images d’archives de l’inauguration de la cité, 60 ans plus tôt. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh installent ainsi, dès le début, leur long-métrage dans un cadre historique précis. Youri est ensuite présenté en sauveur, jeune génie et homme à tout faire de la cité, et on se met à croire, nous aussi, que David réparera et vaincra Goliath. Pendant 45 minutes, le film nous fait nourrir un espoir hypothétique, comme si une lueur allait permettre à Youri de mener son projet à bien. On notera ici les scènes de réparation de la cité, plutôt comiques et sublimées par On the flip of a coin des Anglais de The Streets. Mais tout rêve a une fin, et la réalité finit vite par rattraper la naïveté de Youri : le projet de démolition est acté et les habitants de la cité sont relogés. Youri, presque orphelin, demeure alors quasi seul dans cet ensemble vide, austère et insalubre.
Le film prend alors une tournure insoupçonnée, la fable sociale tournant au conte. Paradoxalement Youri poursuit alors son rêve d’espace en s’enfermant entre les murs de la cité afin de se construire son propre vaisseau avec des matériaux de récupération.
Tout au long du film, le parallèle avec l’espace est évident, il saute aux yeux tellement les références et les clins d’œil se multiplient à l’écran. Au-delà du rapprochement autour de la figure de Youri Gagarine, premier homme dans l’espace, toute la cité est filmée comme un immense vaisseau, et ce dès les premières scènes du film. Le bâtiment est quasi systématiquement filmé du sol vers le ciel, par des plans souvent rapprochés permettant de ne jamais voir la terre mais toujours le bâtiment au milieu du ciel, comme flottant dans l’espace. Youri apparait d’ailleurs dans le film comme l’ange gardien de l’ensemble, surveillant l’activité de la cité du ciel avec son télescope dans une scène aux allures de Fenêtre sur Cour d’Hitchcock. La réalisation insiste d’ailleurs sur ce parallèle avec l’espace en filmant les personnages de manière circulaire, en tournant autour d’eux comme la terre qui gravite autour du soleil. Enfin la musique du film est de toute évidence samplée, ou du moins inspirée, des bruits des communications de vaisseaux dans l’espace.
La seconde moitié du film nous transporte alors dans l’univers onirique de Youri, où ce dernier cherche à fuir la réalité d’un monde violent, où sa mère l’a abandonné et où son microcosme dans lequel il a toujours vécu va disparaitre au profit d’une politique urbanistique toujours plus destructrice. La cité finit, dans le dernier plan du film, par s’envoler, Youri empêchant sa destruction et lui permettant de quitter la terre.
Gagarine s’inscrit dans un univers technique, moderne, comme en témoigne les plans répétés sur le métro, et ses câbles entremêlés ainsi que sur le passage incessant des voitures autour de la cité. Pourtant, Youri recherche un objectif simple, loin de la folie constructrice (et destructrice) des hommes. Il veut rénover au lieu de démolir, donnant aussi un propos politique au film, toute proportion gardée évidemment.
Mais plus qu’un film sur l’espace, Gagarine est un film sur le langage, ou plutôt sur la nécessité de se comprendre et de comprendre les autres. Si Damien Chazelle avait déjà exploré cette thématique avec Premier Contact, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh insistent surtout sur la volonté de la banlieue de communiquer avec le monde. C’est habilement fait avec la quasi-personnification de la cité, carrefour cosmopolite et qui aurait alors son propre langage (le français se mêle à l’arabe et au romani). Dans cette cité-vaisseau, les habitants peuvent être vu comme des extra-terrestres aux yeux de certains. Le personnage de Diana déclare à ce propos que la seule issue possible d’une rencontre entre les hommes et des créatures spatiales serait la guerre, puisqu’il est du propre de l’homme de rentrer en conflit avec quelqu’un qui ne parle pas sa langue. Le film montre alors des personnages tout ce qu’il y a de plus humains et pourtant marginalisés, confinés dans leurs bâtiments.
Si le film réussit à nous tenir en haleine, c’est en grande partie grâce aux jeunes acteurs, interprétant à la perfection leurs rôles. Si l’acteur principal, Alséni Bathily, est excellent dans le rôle de Youri, les personnages secondaires ne sont pas en reste, portés notamment par Lyna Khoudri, déjà remarquée avec Papicha, et Finnegan Oldfield dans un rôle de dealer tout en nuance qui lui va à ravir. Le film, labélisé Festival de Cannes 2020, devrait arriver en salle le 23 juin.
Bien que plusieurs thèmes ponctuent l’œuvre de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, Gagarine est surtout un film hommage à la cité du même nom, microcosme aujourd’hui disparu après la destruction de la cité. Sans être un film social, Gagarine en dit aussi long sur l’Etat actuel des banlieues, laissées à l’abandon par une partie de la classe dirigeante et aujourd’hui victimes des politiques d’urbanisation de la ville.
Critique publiée sur http://queducult.fr/