Depuis La Haine, les films sur la banlieue ne cessent chaque année de fleurir en France jusqu’à former un genre à part entière. Néanmoins, on y note une certaine redondance et un discours trop souvent simpliste ou complètement déconnecté de la réalité, témoignant d’un regard petit-bourgeois du Cinéma français sur un lieu qu’il ne côtoie jamais. On retrouvera notamment un idéalisme ridicule dans le message de Au bout des doigts ou Banlieusards. Gagarine, quant à lui, réussit à se distinguer en proposant une réelle expérience cinématographique sans prétention. Le film est avant tout une performance technique qui réussit à laisser le spectateur bouche bée, dans des émotions montant en crescendo. Les acteurs sont dans leur élément et s’ancrent parfaitement dans un cadre spatiotemporel et sonore magnifique, sans pour autant entrer dans l’épuration des décors, bels et bien réels. Effectivement, la transformation du lieu en vaisseau spatial se fait en cohérence avec Youri et une volonté de rester au cœur du réel. La réalisatrice Fanny Liatard précise : « On voulait qu’il ne soit pas aseptisé, pas clinique, mais vivant, un peu sale, organique, puisque Youri construit cette capsule avec les objets qu’il trouve autour de lui. »
Mais ce qui différencie vraiment Gagarine des autres films du genre, c’est qu’il ne tente pas d’entamer une argumentation bancale, qui trop souvent embrasse la méritocratie ou la défense du capitalisme, lui qui fait tant de mal aux cités et à leurs habitants. Ici, le film ne développe pas une analyse marxiste de notre monde non plus, car l’argumentation en elle-même est absente et on peut le regretter. Mais pour autant, il s’agit d’un témoignage réaliste sur lequel il est souhaitable de s’appuyer dans des analyses du monde réel. Le film raconte la vie de ces quartiers, la solidarité qui s’y trouve et l’attachement qu’ont les habitants pour cet endroit dont ils n’ont pas la propriété. Ces familles sont exploitées quotidiennement par une classe dominante qui les déplace à sa guise sans prendre en compte leur avis. Le casse-tête administratif est montré sous les pleurs et le désespoir d’une habitante qui a peur de ne pas trouver un nouveau logement (nous rappelant Daniel Blake, un homme dont la santé fut détruite par le labeur et dont l’Etat fait tout pour décourager de demander des aides). Les locataires ne bronchent pas, ou peu, pour conserver les quelques miettes qu’on leur donne et éviter la répression (comme celle subie par des nomades à un autre moment du film). Et malgré cela, l’espoir reste éveillé chez certains jeunes qui tentent de sauver à très petite échelle leur immeuble insalubre, car c’est tout ce qu’ils ont. Mais seul un bouleversement global permettra d’accomplir leurs rêves. Celui-ci, dans le chaos et la souffrance que subissent les masses laborieuses, ne peut être accompli que par une révolution. Et des films comme Gagarine sauront y trouver leur rôle !