Avec Gangubai Kathiawadi, Sanjay Leela Bhansali nous offre une fois de plus une pépite. C’est un superbe portrait qu’il nous dresse ici, celui d’une femme tombée dans la prostitution par trahison… Elle a été vendue par son prétendant à un bordel dirigé par sa tante… Blessée dans son psychisme, dans son affectivité, dans son corps, Gangu va infléchir son destin non pas pour elle seule mais pour toutes celles qui, comme elle, se retrouvent prisonnières et n’ont quasiment aucune échappatoire. Cette femme, qui a existé et qui a vécu dans les années 60, loin de se comporter en victime, s’est battue et s’est imposée. Elle a, entre autres, obtenu pour les prostituées des jours de congé, leur a fait ouvrir des comptes bancaires, a libéré toutes celles qu’elles pouvaient, obtenu la scolarité pour les enfants nés des femmes prostituées. Elle est devenue une « mère » pour les 4000 femmes prostituées de Kamathipura, tout en ayant un statut de « reine de la mafia ».
Cette histoire est impressionnante, mais elle est également magnifiquement mise en valeur par la réalisation soignée de Sanjay Leela Bhansali, par des dialogues intelligents et par le jeu de l’actrice principale : Alia Bhatt littéralement transcendée par son rôle. Elle campe une femme forte, fière, farouche, déterminée, digne qui en impose partout où elle passe, qui fixe les règles du jeu partout où elle va, tout cela à travers son regard, sa posture et le ton de sa voix. Elle fait passer aussi toute la fragilité de son personnage blessé par la vie, à travers ses yeux ou le tremblement de sa voix.
Parmi les nombreuses séquences, je retiens celle où Gangu déboule sans s’annoncer dans le bureau du prêtre, directeur d’une école catholique, qui cherche à faire fermer la maison close. Gangu arrive avec les enfants des femmes prostituées et avec l’intention de les inscrire dans cette école. Un dialogue musclé s’engage. Après s’être heurtée à un refus comme elle pouvait s’y attendre, elle explique calmement que donner une éducation à ces huit enfants c’est leur offrir la possibilité de ne pas tomber à leur tour dans la prostitution et retirer ainsi tout motif de plainte et elle continue avec humour :
aahh – eehh – oohh : ce sont les sons qu’elles apprennent dans le bordel. Le reste vous pouvez leur apprendre ici.
Et encore cette séquence où elle prononce un discours devant une assemblée constituée de personnes « honorables ». Après avoir parlé sans langue de bois et les avoir mis en face de leurs contradictions et de leurs jugements hypocrites, elle termine ainsi :
J’arrête ici mon discours. Mr Fezi, écrivez dans le journal de demain : Gangubai a fait un discours à Azad Maidan non pas les yeux baissés mais la tête tenue bien haute !
Un discours qui s’achève dans une salve d’applaudissements !
Cette histoire est loin d’être déprimante, elle donne au contraire un tonus fou grâce à l’énergie qui se dégage de Gangu et de son combat. Une scène illustre à merveille cette dimension du personnage, c’est la séquence autour de la fête de Navrati, une fête indienne annuelle qui célèbre l’énergie féminine divine. Séquence qui nous offre un moment de danse plein de vitalité dans laquelle Gangu représente la déesse. Une danse qui lui convient parfaitement.
Gangubai Kathiawadi est un film splendide qui pourra toucher même des personnes peu familières des films indiens et de ses codes. Je le recommande chaudement !