Il fallait que je revoie ce film après avoir apprécié la chronique de Pierre Amo, il y a quelque temps ...
"Garde à vue" est un film intrigant et obsédant.
L'histoire dont on ne sait, au fond, pas grand-chose tend à l'épure. Un homme (Michel Serrault) est convoqué au commissariat un soir de Saint-Sylvestre pour répondre à des questions complémentaires relatives à son témoignage sur la découverte de deux fillettes violées et assassinées. Ses réponses évasives convainquent l'inspecteur qui mène l'enquête (Lino Ventura) de prolonger la garde à vue.
Il me semble important de remettre ce film dans le contexte de 1981 où le risque pour un coupable de tels crimes est la peine capitale qui était appliquée en France principalement pour de tels actes. L'enjeu est donc maximal.
Le sujet du film, c'est la conviction a priori que peut avoir l'inspecteur qui mène l'enquête et dont l'objectif peut être d'obtenir des aveux en dépit de cette fameuse "présomption d'innocence". Ventura a beau dire qu'il n'a pas d'a priori sur le coupable, le système de la garde à vue peut le conditionner à se forger une conviction. Lorsqu'il n'y a pas de preuve matérielle objective, l'interrogatoire se base alors sur des témoignages qui peuvent être malveillants. Ou qui génèrent de la suspicion. Justement, ici c'est le cas.
L'autre point important qui est soulevé dans le film, c'est le point de rupture lors de l'interrogatoire où le suspect jette l'éponge et bascule vers les aveux.
Là, le film montre que Michel Serrault tient le coup tant que les témoignages (malveillants) ne sont que des signaux faibles. Il tient même le coup lorsque l'adjoint de Ventura (Guy Marchand), qui n'a pas inventé l'eau chaude, le passe à tabac. C'est lorsque son intégrité personnelle, intime est atteinte après le nouveau témoignage d'un proche, qu'il craque puisque tous ses repères s'écroulent. En d'autres termes, il se condamne lui-même pour, paradoxalement, sauvegarder son intimité qu'il ne peut dévoiler à qui que ce soit sans se détruire.
Notons aussi que le débat suscité dans le scénario n'est pas pollué par d'autres considérations qu'elles soient raciales ou socio-politiques. Le suspect est un bon français d'autant "meilleur" qu'il est, en plus, un notable ...
La mise en scène du film est très efficace dans ce huis-clos étouffant où les acteurs occupent l'espace et où la caméra accompagne les moindres mouvements ou postures des acteurs. On verra plus loin que la mise en scène de Ventura par Claude Miller est redoutable …
C'est un des plus beaux rôles de Michel Serrault que je n'aime pas spécialement dans ses personnages pseudo-comiques (chez Mocky ou Molinaro). Là, il change de registre et il nous offre une composition pleine de nuances d'un bonhomme très complexe.
Ventura, c'est le flic honnête et rigoureux. Rude mais avec un petit côté humain. Il se complait à piéger Michel Serrault dans ses incohérences. Il connait par cœur le dossier qui l'alimente dans la conduite de son interrogatoire en éléments factuels (les photos des corps, le bunker, le petit bois) et n'a pas de peine à pousser Serrault dans ses retranchements. Par ces mêmes inserts de documents factuels, le spectateur est aussi alimenté en informations au point d'être piégé en se forgeant lui aussi une conviction de culpabilité. Finalement, très proche de la logique de Ventura.
Parmi les rôles secondaires, j'ai bien apprécié le personnage de Guy Marchand en jeune inspecteur-adjoint de Ventura, impulsif, lui aussi manipulé et qui perd son contrôle dès lors qu'il se retrouve seul avec Michel Serrault. Et, inconsciemment ou non, cherche à faire avancer cette enquête qui piétine avec un Michel Serrault qui se fout ouvertement de lui. "Comment ça s'écrit "Tango", comme un tango ? Non, comme Paso-Doble !
Et puis aussi le personnage très troublant de l'épouse de Michel Serrault qui exhale sa jalousie et sa haine, joué par Romy Schneider…
Un mot sur les dialogues qui sont de Michel Audiard. Mais un inhabituel Michel Audiard plus sombre et peut-être plus profond.
"Ils applaudissent les champions mais la réussite d'un des leurs, ça les exaspère. Elle les frappe comme une injustice."
Je disais au début de ma chronique que ce film était intrigant et obsédant. En effet, parce qu'on se rend bien compte que la fragilité et la subjectivité d'un témoignage peuvent orienter une enquête en dépit de tous les principes, de toutes les règles et lois qui régissent la présomption d'innocence.
C'est un très bon film avec un rôle joué par Michel Serrault inoubliable.
Accessoirement, cette chronique est rédigée avec un petit clin d'oeil à Guy Marchand, acteur qui excelle très souvent dans les seconds rôles et qui joue du saxo dans Nestor Burma, récemment disparu