Les ombres
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Véritable film-testament, The Dead a été réalisé alors que John Huston était gravement malade (il n'aura d'ailleurs même pas l'occasion d'assister à la première). On comprend donc les raisons pour lesquelles cette œuvre a une place si particulière au sein de sa filmographie. Si on y retrouve un certain flegme britannique (et pourtant on est en Irlande...), le style y est bien plus épuré que dans ses autres productions.
La tendresse naturelle de ce huis clos minimaliste est renforcée par la construction en trois actes qui nous rappelle très logiquement que nous sommes en présence d'une tragédie. La réflexion de Shakespeare indiquant que la vie est comme une scène : on y entre, on joue et on sort, est parfaitement illustrée. La scène d'ouverture nous présente un Dublin enneigé (l'hiver est la dernière saison de l'année, on sait dès de le départ que l'on va assister au terme de quelque chose). S'en suit l'entrée des protagonistes chez les deux sœurs. Vient après les joies et futilités d'une soirée mondaine classique : les chants, les discussions inutiles mais parfois savoureuses ou encore l'invité qui a un peu trop bu et manque de faire basculer l'ambiance feutrée en véritable pugilat. Tout ceci est très bien mis en scène et la photographie granuleuse et verdâtre instaure une atmosphère attachante.
Pourtant, il faut bien quitter cette soirée, après avoir chaleureusement remercié des hôtesses qui, à force de se soucier toujours des autres, ont peut-être bien raté leur propre vie. C'est bien le message que nous transmet le film à travers les caractéristiques des différents personnages : s'il est bien difficile de réussir sa vie, savoir appréhender la mort n'est pas plus aisé. La grande lucidité du réalisateur face à notre condition humaine est aussi juste qu'elle réconforte la foi de chacun en nos semblables.
A ce titre, les escaliers jouent d'ailleurs un rôle central dans le film. Avant de quitter la demeure, c'est souvent en les descendant que les invités passent. Certains y tiennent une discussion ancrée dans le quotidien (demander la transmission des notes d'examen) tandis que d'autres y demeurent immobiles dans une grâce toute particulière, en écoutant des chants qui proviennent du hors-champ.
Le style épuré de la réalisation n'empêche en rien le charme de certaines scènes d'opérer. La fraternité et la chaleur des chansons irlandaises un soir d'hiver produisent toujours leur petit effet. Que dire également de ce somptueux texte récité à la toute fin de l'œuvre, si ce n'est que c'est sûrement l'une des plus belles lectures que le cinéma ait pu nous offrir.
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Créée
le 25 févr. 2016
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