Le très beau portrait que Martin Scorsese fait de George Harrison dans ce film – dont le titre, Living in the Material World, reprend celui de son deuxième album solo après la séparation des Beatles – parvient à mettre en lumière les ambivalences du personnage tout en rendant un hommage sensible à l’homme et à l’artiste.
Le montage du documentaire ainsi que certains témoignages des proches de Harrison permettent en effet de pointer certains paradoxes. Terry Gilliam résume bien la personnalité ambivalente de George Harrison quand il dit qu’il avait « grace and humour, and a weird kind of angry bitterness about certain things in life ». De fait, c’est l’image qui ressort du film : George Harrison était quelqu’un de gentil et chaleureux, de protecteur même (comme le laisse entendre ce magnifique témoignage d’Astrid Kirchherr sur la visite de Lennon et Harrison au studio de peinture de Stuart Sutcliffe après son décès brutal), qui mettait instantanément les autres à l’aise ; mais il était habité par une éternelle insatisfaction, qui nourrissait une forme de perfectionnisme extrême (au point de jardiner jusqu’au milieu de la nuit) mais surtout une recherche de paix intérieure, de vérité, et un désir de transcendance sans cesse contrebalancé par la matérialité de l’existence (le succès et l’opinion des autres, l’argent, la drogue surtout – on peut penser aussi aux déboires judiciaires et aux côtés sombres de l’industrie musicale, qui ne sont pas montrés dans le film mais qui ont affecté l’artiste).
D’où venait cette face plus sombre de George Harrison (« I’m a dark horse », chante-t-il alors que sa voix est brisée, dans une séquence très réussie du film où l’un de ses amis exprime son incompréhension face à la nature de ce qui le taraudait alors), à quoi cherchait-il à échapper, et le faisait-il vraiment de la bonne façon ? Le film ouvre ces réflexions avec adresse, sans s’y appesantir.
Une autre ambivalence très bien traitée concerne le comportement problématique de Harrison avec les femmes, quand il entretenait par ailleurs des amitiés masculines très fortes que sa veuve Olivia qualifie de presque romantiques – en prenant pour exemple l’histoire très belle de la chanson I’d Have You Anytime : « Let me in here », « Let me into your heart », chante George Harrison à un Bob Dylan qu’il tente de faire sortir de sa coquille. D’ailleurs, on ressent à travers de nombreux (et touchants) témoignages combien Harrison a marqué certains de ses amis, et combien il est regretté.
Le documentaire donne à voir beaucoup de photographies très belles, et met très bien en valeur la musique de George Harrison, l’utilisant également comme point signifiant dans le montage. Cependant, je regrette qu’il n’y ait pas plus d’extraits de lives, ou du moins que les extraits choisis soient si courts (je ne suis même pas sûre que l’on ait une seule chanson filmée en live du début à la fin). Certes, le film dure déjà 3 h 30, mais j’en aurais bien repris un peu !
Du côté des points plus mitigés, si la plupart des témoignages sont intéressants (l’histoire des ukulélés racontée par Tom Petty est particulièrement drôle), j’ai trouvé certaines interviews assez déplaisantes (notamment celle d’Eric Clapton). On sent également qu’il manque quelques transitions et que ce portrait comporte des trous, mais c’était sans doute inévitable, et le film offre déjà une image assez complète des multiples activités de George Harrison.
J’ai toutefois l’impression que s’intéresser à celui-ci et connaître déjà son histoire, ainsi qu’être au moins un peu fan des Beatles, aide grandement à comprendre et à aimer ce film. Pour ma part, je l’ai beaucoup apprécié : il m’a émue, donné à réfléchir – et très envie de replonger dans la discographie de George Harrison.