Débaptisant "L'assommoir" de Zola pour "Gervaise", René Clément donne le ton de son adaptation. Gervaise est l'héroine mélodramatique du film parce que sont concentrés sur elle tous les malheurs que porte le sujet. Elle est l'innocence que la précarité sociale de l'époque condamne autant que la victime expiatoire de ses "deux maris", Lantier et Coupeau. Le premier est un coureur (de jupons) qui réapparait un jour, alors que le second, qu'un accident du travail a conduit à l'oisiveté et à l'alcoolisme, a déjà pris sa place. Les deux, d'une étonnante ressemblance physique, sont d'insupportables parasites et figurent autant le malheur de Gervaise que la menace qui pèse sur son modeste commerce de blanchisserie.
Gervaise est à ce point le personnage principal du film que ses auteurs (les inséparables Aurenche et Bost au scénario) en oublient, coupablement, de suggérer de façon significative, la portée et la conscience politiques du roman de Zola, en dépit de leur habileté dans la reconstitution des décors parisiens et de l'atmosphère populaire. La force du récit tient beaucoup à l'excellence de l'interprétation, notamment à celle de Maria Schell, très visiblement investie et convaincue par ce rôle de femme pathétique, courageuse et accablée. L'actrice montre sans doute plus de personnalité que le film pris dans son ensemble.