Rarement projet aura semblé aussi risqué, voire kamikaze. Originellement un riche manga signé Masamune Shirow, puis diptyque animé du maître Mamoru Oshii avant de muter en passionnante série, Ghost in the Shell est d’une invraisemblable richesse ; un matériau d’une formidable diversité, qui aura fédéré sur le long terme des hordes de fans allant de l’amateur de science-fiction au spécialiste du cyberpunk, en passant par l’afficionado de réflexion métaphysique jusqu’au passionné occidental. Après Akira de Katsuhiro Ōtomo (en 1988), Ghost in the Shell (1995) est de très loin l’anime le plus important du genre, le pensum métaphysique, complexe et fluide adapté à l’écran par Oshii tient du mythe initiatique à la culture japonaise qui se partage de génération en génération, prenant toujours plus de pertinence alors qu’avec le temps, les progrès scientifiques donnent raison au postulat de science-fiction du manga de Masamune Shirow, qui n’était après tout qu’une relecture d’un certain 2001, l’Odyssée de l’espace, où l’homme était confronté à l’intelligence de la machine, devenant lui-même pure intelligence dans un corps artificiel...
La première très bonne surprise du film de Rupert Sanders (Blanche-Neige et le chasseur) est donc de parvenir à retranscrire intelligemment et fidèlement une œuvre-monde terriblement complexe. Dès les premières images du métrage, on est ainsi sidéré par le degré de précision déployé par le récit et la direction artistique pour incarner les codes ou identités remarquables qui ont fait l’ADN de Ghost in the Shell. Le moindre accessoire, le plus petit morceau de coursives et jusqu’à certains figurants ont ainsi été reproduits, transcrits, avec un soin maniaque. Le mythe de Frankenstein, celui crée par Mary Shelley, est désormais bien plus qu’un assemblage de cadavres de dépravés et d’épaves sous l’impulsion de la révolution électrique. Sous l’enveloppe charnelle de Johansson, délicieusement froide, vocale, et pourtant puissamment physique, dans ses formes et ses tendances aux cascades, mais également sous celle du revenant Michael Pitt, qui effectue un retour providentiel ici, le film redéfinit la monstruosité par la machine, initiant une réflexion miroir sur les intelligences artificielles, l’infiniment petit de nos écrans, reflets de nos âmes désincarnées quant elles se retrouvent absorbées dans l’univers virtuel de nos disques durs...
Autre raison de se réjouir : Ghost in the Shell ne se limite pas à un objet de cinéma fétichiste, conçu pour caresser le fan dans le sens du poil. S’il ne réinvente jamais la poudre, le scénario du blockbuster s’échine simultanément à mener son récit selon un rythme trépidant, collant à la densité qui faisait la force du premier long-métrage, tout en établissant clairement ses enjeux. A l’image de Tron l’héritage, auquel Ghost in the Shell aimerait beaucoup ressembler dans sa fluidité, son univers de synthèse, son rapport émotionnel à la musique, le remake live du film de Oshii est une vision à part du blockbuster américain, au rapport à l’humain sûrement trop froid, peut-être trop geek pour séduire les foules qui acclament les péripéties des héros Marvel. Les références nippones font du produit transculturel une ambitieuse relecture du cinéma grand spectacle comme on en voit rarement à Hollywood actuellement...
Toutefois, si le générique d’ouverture redonne vie au mythe de Ghost in the Shell de façon éblouissante, entre esthétique sublime et abstraction jouissive, il manque de nombreux éléments pour que le film de Rupert Sanders puisse s’approcher un seul instant du statut instantané d’oeuvre culte ou de réussite incontournable. Car Ghost in the Shell se casse les dents sur certains obstacles inhérents au programme qu’il déroule. Car à trop vouloir dupliquer le canon esthétique établi par Oshii, Sanders se fait trop fidèle. On a beau être ravi de retrouver les Geishas mécanique d’Innocence, la combinaison furtive du premier métrage ou encore les chiens de Batou, ces duplicatas font du film un produit étrangement daté...
On comprend donc rapidement que pour satisfaire le spectateur averti et simplifier le récit, le scénario choisit de gommer une grande part de ses questionnements métaphysiques, en mixant les intrigues des deux animes. Un choix qui séduira sans doute les spectateurs en quête de divertissement, mais frustrera terriblement ceux qui espéraient retrouver la portée philosophique inhérente à Ghost in the Shell. On est ainsi plus proche d’une relecture cyberpunk de Robocop que d’une réinterprétation des brillants travaux de Shirow et Oshii...
Au final, impossible de ne pas considérer avec indulgence ce Ghost in the Shell qui ne méprise jamais son public et cherche à pupulariser ses aînés avec une réelle sincérité. Impossible également de ne pas regretter la disparition de ce qui faisait le sens, et donc la grâce, de cet entêtant fantôme !!!