Je n'suis pas un grand fan du pan de la SF nouveau-né de la fin des 90's interrogeant l'avenir d'internet, des réseaux arachnéens d'informations, des arbres infinis et superposables des possibles, et d'ordre plus général, je n'suis même pas un très grand accroc au questionnement classique de l'intelligence artificielle au cinoche, qui doit compter 4 ou 5 bons films pour quelques actionners sympathiques et une pléthore de bouses.
Si on ajoute à ça que je n'suis pas non plus très demandeur d'intrigues introspectives, étalées et pseudo-profondes amenant inexorablement vers une déchéance autodestructrice intrigante du sujet, on peut dire que j'partais mal avec ce film.
Ghost in the Shell, c'est d'abord un souvenir d'enfance, de ces films qui marquaient l'arrivée chez nous de l'animé dans la collection Manga Vidéo. C'était un peu après Akira. Un peu avant Miyazaki. C'était l'époque où on regardait ça avec les potes, un peu en cachette, trouvant ça génial sans trop savoir pourquoi. Ghost in the Shell, j'adorais. J'étais bien incapable d'en faire un résumé, mais j'adorais.
Faut bien dire que la politique, j'y carre pas grand chose et que c'était pire quand j'avais 14 ans. Et sur le papier comme dans les sous-titres, ce film bâtit son intrigue sur un complexe socio-politique très présent qui aurait facilement tendance à perturber le gars qui s'aventurerait là dedans en s'attendant à trouver du gros animé bourrin avec gros robots et gros flingues. D'ailleurs ça me perturbait moi, j'étais jamais bien sûr de bien piger. Mais j'adorais.
A le revoir une énième fois aujourd'hui, un peu plus mature qu'hier et p't'être bien un peu moins que demain, c'est avec toute l'expérience que m'a apporté mon affection pour Mamoru Oshii que je me détache très facilement des blablas contextuels de l'intrigue pour m'attacher à la mise en scène fabuleuse du film.
Le réalisateur, fidèle à lui même, traite son sujet de la manière la plus perspicace qui soit, nimbant ses plans de lumière laiteuse éblouissante, de reflets bleutés glacés et de noirs d'encre crasseux et souillés. Oshii maîtrise l'agencement des atmosphères comme peu sauront le faire après lui dans leurs représentations mimétiques futuristes souvent gavées de flashs épileptiques, et mène ici son intrigue langoureuse comme une suite de tableaux en avalanches de puissants clairs-obscures écrasants complètement superbes. En sort une imagerie générale tenant du génie, dessinant une rêverie inlassable d'où ne semble sortir aucun des personnages, désincarnés et flottants dans ces teintes métalliques. Les plans s'allongent et les parallèles se multiplient sans la moindre lourdeur, oeuvre noire déambulant dans des labyrinthes de ruelles sombres, débouchant sur des clartés fantomatiques, enfonçant son poing dans les abysses métaphysiques et les errances picturales, ouvrant une porte pour nous inviter cordialement vers une descente songeuse.
L'oeuvre culmine au sublime lors de son final, alors que sur un fond de sanctuaire désertique, de fossiles gravés, d'arbre antédiluvien et de notes musicales aquatiques, le plongeon vers l'inconnu succède à la violence brute, culminant vers une petite apothéose scénique.
Tout au cours du film, l’androïde se laisse flotter, en apesanteur dans les airs, dans les profondeurs marines, sur le reflet d'une vitre gelée, invisible derrière son camouflage spectral. Le conte de la recherche intérieur, de l’œil vers l'abîme est exceptionnel, l'un des rares qui fera définitivement date, l'un des rares qui créera réellement quelque chose. Avec quelques références filmiques (Predator <3 ) et une vraie inspiration dans quelques genres cinématographiques appropriés, Ghost in the Shell est peut être l'une des dernières œuvres en date qui crée vraiment du mythe technologique avec finesse et perspicacité.