Les films d'horreur français enfin reconnus ?

Le cinéma d’horreur est un genre quasi tabou en France. Non pas que celui-ci n’ait pas de succès au box-office. Au contraire, quand les Américains sortent un titre des plus efficaces (Conjuring, Get Out…), plus d’un million de spectateurs font aussitôt le déplacement en salles pour se faire quelques frayeurs. Un domaine a priori apprécié dans nos contrées, qui a pourtant du mal à trouver une place quand il s’agit de s'y ateler. En effet, connaissez-vous des films d’horreur français ? Seriez-vous capable de citer ne serait-ce qu’un titre ? Si vous y parvenez, c’est que vous êtes comme moi, à pester contre une industrie cinématographique française beaucoup trop cantonnée aux drames, thrillers et films historiques à piètre ampleur. Une industrie dégageant une incroyable image de bobo méprisable qui veut bien faire quelques écarts dans le cinéma populaire en livrant des tonnes de comédies dans la majorité puériles et lourdingues. Non, les films d’horreur, c’est caca ! Une formulation enfantine qui traduit pourtant le fait que certains réalisateurs français pourtant talentueux, ne parvenant pas à concrétiser leurs projets, se voient contraints de s’expatrier à l’étranger pour les mener à bien. L’exemple le plus connu étant Alexandre Aja. Ayant été repéré avec son Haute Tension bien fichu mais subissant l’indifférence du métier face à son film d’horreur, a traversé l’Atlantique pour sortir des films à sa mesure (La colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D) et de genres différents (Horns, La neuvième vie de Louis Drax). Désormais, nous pouvons également citer Pascal Laugier. Un cinéaste adepte du thriller horrifique qui avait fait ses armes avec Saint Ange. Fait la polémique avec Martyrs (au sujet de sa violence jugée excessive). S’est à son tour expatrié aux Etats-Unis pour tourner l’étonnant The Secret. Et nous revient en force avec Ghostland, sa revanche sur le cinéma français se présentant sous la forme d’un film d’horreur diablement efficace et qui a fait sensation au dernier Festival de Gerardmer (Grand Prix, Prix du Public et Prix du jury Syfy).


Une revanche car Ghostland est le film qu’il fallait pour montrer à nos producteurs nationaux que l’horreur est un genre à ne pas sous-estimer. Certes, ce dernier n’est un recueil de scénarios hors pairs et le nouveau long-métrage de Pascal Laugier en est un nouvel exemple, tant le film respire le classicisme pur et dur. Certains pourront même pester en voyant que le réalisateur, pour mettre en place son histoire, ne fait que reprendre les codes scénaristiques du genre : la grande maison isolée et limite délabrée, les membres d’une famille comme personnages principaux, la séquestration par des psychopathes, l’héroïne hantée par son passé qui va revivre les événements en retournant sur les lieux du drame… Ghostland est un voyage en terrain connu, ponctué par un twist il est vrai fort intéressant, mais qui réduit considérablement son impact en survenant en milieu de récit. Nous conduisant pour le coup à un dénouement qui se suffit à lui-même. Tel est, à titre personnel, le point faible de Ghostland ! Mais derrière cette simplicité (pour ne pas dire fausse complexité) se cache une déclaration d’amour de Pascal Laugier au cinéma horrifique. Une déclaration qui lui permet donc d’user des codes du genre pour ainsi élaborer son histoire et surtout parfaire le reste. Notamment l’écriture de ses personnages, très bonne, nous permettant de nous attacher à eux et de nous inquiéter de leur sort. Un constat aidé par une très bonne interprétation des comédiens (mention spéciale à Mylène Farmer, bluffante).


Une déclaration qui se traduit également par le traitement qu’a effectué Laugier pour mettre en place son film d’horreur. Délaissant les jumps scare – sans oublier dans utiliser certains et ce de manière efficace – devenus monnaie courante dans le genre de l’épouvante, le cinéaste a tout misé sur son savoir-faire et son amour du cinéma pour livrer une véritable œuvre du septième art. Celle qui ne fait pas que raconter une histoire en la parsemant gratuitement de gore pour justifier son statut horrifique (autant prendre un livre, dans ce cas-là). Non, Laugier a pris tous les outils à sa disposition (mise en scène, décors, maquillages, jeux de lumière, musiques, effets sonores…) pour nous offrir un film d’horreur véritablement prenant tout en étant malsain, dérangeant. Un cauchemar de 90 minutes sous tension à la fin duquel on se retrouve essoufflé par ce que vivent les personnages. Un divertissement transpirant la sincérité de son auteur qui lamine sans mal la concurrence américaine, adepte de la facilité et du box-office. Bref, un long-métrage d’horreur maîtrisé de bout en bout, avec les moyens du bord et la passion de son réalisateur pour ce qu’il fait !


Voir donc un tel film primé au Festival de Gerardmer est bel et bien la revanche d’un metteur en scène sur les producteurs français. L’occasion pour lui de crier haut et fort qu’un divertissement horrifique est une œuvre purement cinématographique. Que son intérêt pour un genre populaire ne signifie pas qu’il ne connait rien au cinéma. Et qu’il peut, surtout, pour aboutir à un tel projet – en ayant dû affronter le temps, les critiques et la réticence des financiers –, se vanter d’être un véritable artiste. Un homme capable de se battre pour son art avec beaucoup de force et de savoir-faire. Ghostland est la consécration de cet homme-là, et pourrait bien être celle du genre horrifique en France. Affaire à suivre !


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/01/rattrapage-2018-ghostland.html

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