"Gibraltar" a fait un flop au box-office, mais ceux qui l'ont vu se souviennent sans doute de la polémique qui a opposé le scénariste Abdel Raouf Zafri ("Un prophète", "Braquo"...) et le réalisateur Julien Leclercq : le premier reprochant au second d'avoir édulcoré le script initial, choisissant notamment de changer le nom du principal protagoniste, de peur de s'attirer les foudres d'on ne sait trop qui...
Car le film relate la véritable histoire d'un français expatrié sur le rocher de Gibraltar, Marc Fiévet, devenu indicateur pour les douanes françaises, ayant pris des risques insensés afin d'infiltrer une dangereuse bande de narcotrafiquants, avant que l'Etat ne décide de le "lâcher" à la suite d'une affaire internationale complexe. Fievet décrit cette descente aux enfers dans son autobiographie, intitulée "L'aviseur", qui a servi de base au scénario de Dafri.
Le rocher méditerranéen constitue un cadre hautement ciné-génique, plutôt bien exploité par Leclercq, dès le générique qui nous apprend les informations essentielles concernant ce lieu étrange, où l'on parle anglais et espagnol.
Ce décor contribue à l'originalité de "Gibraltar", sorte de thriller assez lent, mâtiné de drame familial, qui tente de sortir des sentiers battus du cinéma français, même s'il n'y parvient pas toujours.
Personnellement, je me suis laissé embarquer dans cette histoire complexe, dans laquelle un monsieur tout le monde se retrouve entraîné dans des sphères qui le dépassent.
Gilles Lellouche incarne avec talent cet aventurier malgré lui, pas franchement sympathique, qu'on a autant envie de plaindre que de baffer, tant ses motivations peuvent sembler floues, ce qui en fait au final un héros empathique.
Autour de lui, Tahar Rahim campe un agent des douanes ambitieux, Mélanie Bernier une sœur fragile et volage, mais celui qui sort du lot et imprime la pellicule, c'est indéniablement l'italien Riccardo Scamarcio, fascinant d'élégance et d'animalité contenue.
On pourra tiquer en revanche sur certains aspects, à commencer par l'amitié bien rapide entre un français sans grande envergure et un ponte du narcotrafic - par définition méfiant et solitaire.
A contrario, on appréciera la reconstitution des années 80, discrète mais efficace, qui se traduit à l'écran par une photographie aux teintes sepia, entre gris et marronnasse, qui n'a pas fait l'unanimité mais dégage un certain charme.
A l'arrivée, "Gibraltar" n'est certes pas un grand film, mais il mérite sans doute mieux que son accueil glacial, ne serait-ce que pour la tentative inhabituelle de proposer un polar contemplatif à la française, qui rappelle en prime l'hypocrisie des institutions douanières, toujours promptes à célébrer leurs prises et leurs petits succès, finalement bien dérisoires au regard de l'immensité du trafic de stupéfiants.