Avant de voir ce film, je savais qu'il avait été le plus récompensé de toute la carrière de Vincente Minnelli (ainsi que sa dernière collaboration avec Arthur Freed), qu'il adaptait un roman de Colette avec des acteurs principaux français et que Minnelli ayant voulu le plus possible filmer en décors naturels il rendait un hommage particulier à la ville de Paris (de façon très différente mais plus « authentique » qu'Un Américain à Paris). Je m'attendais donc à une merveille d'élégance et de couleurs avec un scénario en béton (alors qu'Un Américain à Paris avait souffert précisément d'un scénario trop faible pour sa mise en scène), des costumes sublimes préparés avec amour dans les coulisses de la MGM, un subtil équilibre entre drame et comédie d'une intelligence et d'une tendresse qui m'auraient fait tomber à la renverse, bref : à du grand, du très très grand Minnelli.
Et voilà : j'ai été un peu déçu... Non-pas par les couleurs, la mise en scène, les musiques ou le scénario, mais par une certaine « froideur » et un manque de mise en valeur des personnages. Je n'avais pas retrouvé la merveilleuse empathie du Chant du Missouri (j'en étais même loin) et le film semblait couler indépendamment de son scénario : je ne voyais pas en quoi la forme servait le fond et vice-versa.
Mais bon sang ! me dis-je alors, Pourquoi ce film a-t-il eu autant de récompenses et a-t-il été considéré comme l'une des plus grandes réussites du réalisateur (même s'il n'avait pas non-plus la réputation des Ensorcelés ou de Tous en Scène) ? Et me vint alors l'idée que j'avais peut-être mal regardé, que certains détails capitaux m'avaient peut-être échappés : une deuxième vision s'imposa. Puis une troisième. Puis une quatrième... Et à chaque fois mon visage s'éclairait de plus en plus, jusqu'au moment où il me fallut bien me rendre à l'évidence : si Gigi était bien un film très ironique (de façon beaucoup plus « méchante » que Le Chant du Missouri), il était d'abord et avant tout une perle de finesse et de beauté tant esthétique que verbale, où les chansons se confondaient totalement à l'ensemble tant les conversations parlées regorgeaient de poésie, où la musique avait un rôle absolument capital vu qu'elle était le reflet des états d'âme des personnages (que ne m'en étais-je aperçu plus tôt ?!.), où le scénario était remarquablement ficelé et faisait l'éloge de la sincérité en l'opposant au savoir-vivre.
Ainsi, Gigi (Leslie Caron), jeune fille pétillante et « vraie », jouera des leçons de respectabilité apprises via sa tante et sa grand-mère pour montrer à Gaston (Louis Jourdan) l'étendue de leur ridicule, quitte à lui laisser le temps de réfléchir à ses désirs... Gaston, lui, attachera précisément par son je-m'en-foutisme revendiqué vis à vis des conventions de cette haute bourgeoisie de la Belle Epoque, conventions dont il joue...mais qui manqueront de le piéger en devenant une forme de conformisme. Son oncle Honoré (Maurice Chevalier) sera attachant de façon encore plus malicieuse : noceur notoire, il revendique entièrement son appartenance à ce monde sans scrupules, sans se cacher derrière une quelconque façade de respectabilité, mais en étant toujours complice de son neveu envers et contre tout, la sympathie qu'il déclenche inévitablement tenant en grande partie à son caractère joyeux et chaleureux. Formidable condamnation de l'hypocrisie et du venimeux système de « vases communicants » entre l'ego et la personnalité (plus l'un se vide, plus l'autre se remplit), porté par une couleur et une élégance toutes « minnelliennes », un verbe splendide, des musiques parfaites et des costumes...MGM, Gigi mérite d'être vu plusieurs fois pour en saisir toutes les richesses et les subtilités, et s'il n'est pas mon Minnelli préféré, il reste néanmoins un excellent et délicieux film de ce réalisateur unique...