Lever l'ancre (mission maframboise n°5)
Gilbert Grape rêve d'ailleurs, mais il est retenu. Coincé dans une petite bourgade américaine où il a malgré son jeune âge la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille, il rêve d'évasion. Un père décédé, une mère si obèse qu'elle peine à se déplacer, un grand frère qui a déjà levé les voiles, et c'est à lui et sa plus grande sœur que reviennent les responsabilités. Le poids d'une famille semble bien lourd quand on est à l'âge où l'on rêve d'autonomie et de découverte. Et si chaque année, toujours à la même époque, avec son jeune frère handicapé, il regarde passer les caravanes d'un air songeur, il assume bon gré mal gré son devoir pour ceux qui comptent sur lui, en essayant d'égayer comme il peut une vie un peu terne. Mais un jour, l'une de ces caravanes qu'il contemple tombe en panne dans sa ville, et une fille un peu bohème entre dans sa vie.
Pour son second film américain, Lasse Hallström signe une œuvre captivante et poignante. C'était en 1993, une époque où Johnny Depp ne se contentait pas de signer dans de grosses productions un peu fades et prenait des risques pour casser une image héritée de ses années télé. Une époque où il était brillant sans cabotiner. Mais aussi une époque où Léonardo DiCaprio n'était pas une star planétaire. Et c'est ce dernier qui livre ici une prestation éblouissante, inoubliable. Je pense que c'est tout simplement son meilleur rôle. Il campe Arnie, un handicapé mental plus vrai que nature. La relation entre les deux frères admirablement interprétée par ces deux futurs charmeurs du cinéma américain révèle toute l'ambiguïté et la magnificence d'un lien avec une personne souffrant d'un tel handicap. Entre lourdeur et bonheur incomparable.
Le film marche sur un fil, traverse quelques sujets délicats comme le regard de l'autre, l'éducation d'un handicapé mental, les relations familiales, le sacrifice de ses désirs et d'autres encore, mais sans fausse note. Et l'on pardonne aisément les rares facilités tant le ton est juste et touchant.
Gilbert Grape absorbe, Gilbert Grape attendrit, Gilbert Grape bouleverse. Si l'on se laisse happer par cette bribe de vie dans un coin perdu, l'émotion et le plaisir sont au rendez-vous.