Un documentaire sur Iggy et ses Stooges, ça se doit d'être rock'n'roll. Il faut du chaos, de la folie, il faut cette énergie brute auto-destructrice qui se dégage du groupe de ce drôle de type torse nu qui se tient bizarrement. Et ça commence pas trop mal : on nous dit d'entrée que les Stooges ça a été de plus en plus fou, qu'ils ont été de plus en plus crades, qu'on leur balançait des trucs sur scène. Chouette, ça va transpirer, ça va saigner et on va bien rigoler.
Mais en fait non. Iggy est interviewé dans un "lieu secret" (sa véranda ? Et puis on s'en fout, ce lieu change et on n'en reparlera plus), se tripotant les orteils en récitant sans conviction une version aseptisée du wikipedia du groupe, terminant parfois ses phrases par une grimace pour avoir l'air sympa. Mais ce n'est pas le pire. Jarmusch va chercher toutes les anciennes gloires de l'histoire des Stooges : on a droit à Scott Asheton totalement à la ramasse yoyotant face caméra (ce moment de malaise quand Iggy l'aide à finir une phrase), James Williamson filmé dans ses chiottes (lavabo et pack d'eau en fond, guitare sur les genoux pour avoir l'air rock'n'roll), Steve Mackay dans sa cuisine (ou était-ce Mike Watt ?)... Le summum du surréalisme est atteint quand on va nous montrer la soeur des frères Asheton raconter que sa maman était contente quand Iggy avait passé un coup de fil un jour. Brillant. Merci Jim. Est-ce une nouvelle fois la fascination pour la poésie qu'il trouve dans la routine, l'ennui et la banalité qui pousse le réalisateur à cadrer ses invités de manière si peu glorieuse, ou juste qu'il n'en avait rien à foutre ? S'il voulait transformer ces icônes en type chiants et pathétiques, fallait-il tenir ce discours élogieux ? On parle d'un gars qui se charcutait sur scène et dégueulait sur le public. Là, le truc le plus fou dont on entend parler c'est qu'une fois, bah il s'est cassé la gueule en slammant. "sa fou lé frisson"
Hélas, le contenu ne vient même pas sauver la forme inexistante. Trop copain avec son sujet, Jarmusch ne va jamais gratter, jamais remettre en question ses invités. Il les laisse juste réciter un discours à la limite de la langue de bois, pédant parfois, sans intérêt la plupart du temps. Quid des tensions, des problèmes du groupe à peine survolés ? Concernant Dave Alexander, on nous dit "il a été viré du groupe et il est mort d'une pneumonie parce que les médecins l'ont mis sous sédatif". Wikipedia nous dit qu'il était alcoolique, que Iggy le considérait comme un gamin capricieux et qu'il n'était dans le groupe que parce qu'il avait une voiture... Wikipedia se retrouve plus piquant que ce film, au discours totalement lissé, aseptisé, vide. En comparaison, le doc sur Ozzy Osbourne était savoureux, croustillant, drôle, bourré de folie, mais aussi bouleversant quand il nous faisait réaliser quel champs de ruine était la vie de la star.
Il pourrait y avoir la musique pour réhausser l'intérêt du truc. Mais Gimme Danger nous repasse en boucle les 3 / 4 mêmes titres (Search & Destroy, TV Eye, I Wanna Be Your Dog), jusqu'à saturation. Quand on nous montre que les Stooges ont influencé du monde, on voit un paquet de types reprendre ces trois mêmes titres (au lieu, comme dans le doc sur Lemmy Kilmister par exemple, de laisser la parole à d'autres artistes pour qu'ils puissent s'exprimer... Mais ça aurait demandé un peu de travail d'aller les chercher). Quand on nous montre que 40 ans après les Stooges se sont reformés, on les voit rejouer ces trois mêmes putain de morceaux.
Ah, et il y a le montage. On passe du coq à l'âne de manière incohérente (qu'est ce que l'histoire des mecs qui secouent la caravane de Iggy vient foutre à la fin ?), sans construction, trahissant probablement le désespoir du monteur face au vide de la matière en face de lui. C'est sûrement ce même désespoir qui l'a poussé à laisser un stagiaire couper n'importe comment certaines interviews, interrompant des phrases en plein milieu de manière abrupte (cela dit, merci à lui, parce qu'on se foutait pas mal de ce qui se racontait).
Il fallait bien toute la paresse et la complaisance de Jim Jarmusch pour nous faire passer Iggy et les Stooges pour une bande de vieux gâteux qui, en 40 ans, n'ont jamais rien fait d'autres que deux riffs et demi. Un documentaire, ça s'écrit. Un film, ça se met en scène. Ce ne sont pas les pauvres séquences animées, véritable cache-misère pour masquer l'absence d'archives de l'époque, qui remonteront le niveau. Avec un titre comme Gimme Danger, on attendait autre-chose que cet ego-trip fainéant, sorte de matériel auto-promotionnel puant la naphtaline où seul un discours formaté se laisse entendre.