Le cinéma belge exploite dernièrement de manière exceptionnellement maîtrisée le mal-être humain quant à son rapport au corps. Si Roskam avait fait fort avec un Matthias Schoenaerts torturé dans Bullhead, Lukas Dhont n'a rien à envier à son ainé avec Girl.
Lara a 15 ans, elle rêve de devenir ballerine; mais, Lara est née Victor. Ce rapport au corps et à l'identité la ronge moralement et physiquement. Le film commence et le spectateur n'apprend à la connaître que fille. Notre regard l'assimile et l'accepte en tant que fille, tout comme les personnages qui la découvrent après leur déménagement (la maîtresse de son petit frère par exemple). Ce qui torture Lara, c'est le passé qui semble la poursuivre. Ce passé de garçon la suit, les marques sexuelles de ce passé sont toujours là. Le pénis, là est tout le problème. C'est ce symbole phallique qui l'empêche de s'épanouir. Pour ceux qui ne connaissent pas et qui jugent, elle ne peut pas être ni fille, ni garçon. Là réside la force principale du film de Dhont; son portrait de Lara écarte un quelconque manichéisme, Lukas Dhont traite son film de manière ordinaire. C'est le manque d'éducation, la méconnaissance, qui est intolérant à Lara. Ces proches l'acceptent telle qu'elle le souhaite; les hésitations du père ne sont pas cachées, ses peurs quant à l'opération, mais aussi quant au bien-être de sa fille. Le duo Arieh Worthalter-Victor Polster est un grand duo du cinéma, l'un des meilleurs pour ce qui d'une relation parent-enfant. Seul Boyhood et L'influence des rayons gammas sur le comportement des marguerites avait, pour moi, eu une telle force dans ce même rapport. Victor Polster est par ailleurs un magnifique interprète de Lara (Cannes ne s'est pas trompé à son propos).
Chez Lara, la souffrance physique, c'est celle d'un travail acharnée des pieds pour la danse, le sparadrap accroché pour cacher les derniers signes de masculinité. La souffrance morale, c'est ce rapport au corps qu'à le monde de la danse, la recherche d'une d'identité sociale et sexuelle balbutiante, qui éprouve cette jeune âme. Le mensonge lui est coutumier; c'est l'adolescent rebelle, mais en même temps qui ne veut pas éprouver davantage sa famille. Lukas Dhont fait le portrait d'un adolescent classique, en somme. Par là, il combat le mépris, la méconnaissance. Le père de Lara, taxi driver lointain ancêtre de Travis Trickle, a perfectionné son rôle; comme chez Scorsese, il est toujours indépendant, mais veille avec bienveillance sur sa progéniture.
Girl est à l'image de l'appartement de cette petite famille monoparentale ordinaire: c'est un film austère mais qui recèle une puissance d'action et d'intelligence impressionnante. Lukas Dhont réussit à ne pas tomber dans un registre pathétique. La démarche presque documentariste nous plonge au cœur de l'esprit de Lara, un esprit torturé. La caméra est fluide, précise et ne quitte presque jamais Lara du regard. Lukas Dhont raconte, il ne juge pas. Girl est un film magistral sur l'adolescence; regarder ce film, ce n'est pas seulement apprendre, mais également comprendre.