Lara est au milieu d’un carrefour (pas le magasin), à l’âge des grands changements: elle intègre enfin l’école de danse dont elle rêvait, obligeant sa famille francophone à déménager pour vivre dans une ville néerlandophone. Nouveaux voisins, amis, établissement scolaire, professeurs, appartement, tout est à redéfinir.
Chez elle elle est à la fois la mère de substitution de son jeune frère, l’enfant choyée par son père, la complice de celui-ci et puis surtout l’adolescente qui hésite entre révolte et angoisse, entre la chaleur du cocon familial et la soif d’indépendance.
Il y a déjà là un programme qui peut parler à chacun: choisir la danse c’est s’imposer une discipline de dingue, des souffrances physiques et morales et un climat de compétition.
La danse comme la boxe permettent de marier beauté du geste et souffrances qui le rendent possible, du pain béni pour le cinéma.
Le plus pour Lara, c’est que sa souffrance physique dépasse largement la salle de danse: elle est en pleine période de transition sexuelle. L’opération n’est plus qu’une question de mois, elle se rêve faisant enfin face à un miroir qui lui renverra le reflet de ce qu’elle est déjà par l’esprit.
Girl arrive à traiter de la transition, des étapes pour y arriver, des obstacles, du regard des autres et des répercussions sans donner l’impression de s’y attarder.
Lara est avant tout une ado qui souffre même quand elle n’a pas de raison apparente de le faire.
Son humeur changeante, le grand écart entre sa capacité à endurer certaines épreuves et à s'effondrer devant de faux obstacles, ce sont des étapes universelles de la construction.
Dans ce lent cheminement vers l’adulte, Lara rejette son mal être sur un corps qui ne change pas aussi vite qu’elle le voudrait, et c’est effectivement une raison suffisante de se sentir mal.
Pourtant on comprend ce qu’elle vit parce qu’au fond c'est notre lot à tous de voir notre environnement évoluer, de subir un corps qui mue, de rejeter une famille qu’on adore, de chercher à se découvrir.
Traiter le cas particulier de Lara dans un contexte “ordinaire”, sans problèmes familiaux, avec des réactions globalement neutres (parfois blessantes, maladroites ou méchantes, mais de manière presque anecdotique, comme si certains mauvais moments pouvaient eux aussi parler à tous), c’est faire de son histoire une aventure humaine.
Loin d’être une curiosité, Lara est une jeune femme, avec ses particularités, mais surtout avec ses sentiments, ses joies et déprimes qui font qu’on se sent proche d’elle.
On ressort de Girl perturbé parce qu’on a revécu un temps l’excitation stressante de l’adolescence, qu’on a eu notre dose de suspens, et puis surtout contents d’avoir pu accompagner Lara dans un film délicat et juste, de la savoir entourée d’un père en or massif, et de la quitter sur un visage volontaire, qui nous laisse espérer de beaux jours à venir (surtout qu’on venait d’avoir des sueurs froides quelques instants auparavant).
Voilà un joli premier film, et un joli film tout court, qui a permis de mettre en avant un réalisateur et un acteur (magnifique) dont on suivra avec attention le parcours.