Oh, vous avez vu ? Le film s’appelle Girl mais c’est un garçon qui a le rôle principal ! Quelle époque ! Car il semble que Girl est bien un film de notre époque, qui s’engage à fond sur des sujets en les banalisant par la même occasion, ce qui finit par aboutir à des films qui n’ont plus trop de saveur transgressive ou de propos à développer. Tomboy distillait admirablement ses théories de genre dans un contexte enfantin sans jamais s’écarter du naturel de sa situation, ici, le propos est moins accentué, davantage propice à la contemplation de sa créature principale : Lara. Un être gracieux que le film nous montrera sous toutes les coutures, et régulièrement en slip et tenues moulantes pour qu’on ne perde rien de son anatomie et de l’absence d’ambiguïté concernant sa spécificité de transsexuel. Par l’angle de la fiction documentaire (tout est fait pour capter le réel entourant Lara), le film virevolte dans différentes pistes (les relations familiales de Lara, le secret de sa dysphorie dans son école de ballet, l’avancée de sa thérapie hormonale…) avant de se focaliser sur ce qui fait finalement l’essence du film : l’incompatibilité physique de tout ce que Lara fait subir à son corps d’homme en voulant être femme et danseuse ballarine. Le réel qui se rappelle douloureusement au projet de transformation
(et qui finit par imposer l'échec du projet).
C’est finalement là que le film marque ses points, il tape sur un sujet réel de mise à bout du corps, ultime combat à mener quand tout le reste est acquis (mais nous allons reparler du reste). Mélangeant l’exigence artistique d’un Black Swan avec ses petites intrusions de plaies qui gratouillent et l’empathie naturaliste typique d’un cinéma d’auteur occidental, Girl est un exercice intéressant, mais très formel et pas assez virtuose pour se faire remarquer. La faute essentiellement aux digressions autour de Lara (16 ans, transgenre, le lycée, le petit frère, les rendez-vous psycho-médicaux, le premier copain…) qui n’épaississent pas vraiment et capte un quotidien trop radieux et complice pour convaincre.
Girl n’a pas de vocation politique. Mais il est très nettement engagé, surtout en étant tourné dans le contexte actuel, où la théorie de genre commence à réellement se voir et à être reconnue officiellement. Tous les gens du film sont acquis à la cause de Lara. Que ce soit sa famille, ses médecins, ses camarades de classe (la scène glauque et attendue du dénudage n’aboutit à aucune conséquence sérieuse), tout le monde le.la soutient dans sa démarche, sans conditions. C’est ça qui n’est pas anodin. Le film banalise une acceptation universelle qui, disons-le, n’existe pas dans la réalité. Tomboy était loin d’être aussi empathique, notamment lors de la découverte du mensonge et du jugement des autres enfants. Ici, le film se veut optimiste et enlève tous les écueils de la vie de ce transsexuel. D’un côté, cela souligne que même quand les conditions sont optimales, le statut de trans restera toujours un combat (contre son corps et la réalité) qui peut être perdu (on sent poindre une admiration derrière ce constat, pour des êtres qui devront finalement lutter toute leur vie pour exister). Mais en faisant ainsi, le film stérilise complètement le réel, et sans prendre les distances qui s’imposent. On n’est pas loin d’un Extravagances à ce tarif, et ce film avait au moins son statut de comédie au service de ses personnages pour faire passer la pilule. Là, dès les 15 premières minutes de Girl, on a cette conversation un peu hallucinante entre Lara et son psy, et ce dernier lui dit clairement qu’il voit une femme magnifique devant lui, qu’elle a un corps de femme et qu’elle sera toujours une belle femme quoiqu’il arrive. La conversation a beau être justifiée par le début d’un traitement hormonal devant précéder une opération de changement de sexe (pour faire prendre conscience du poids de l’engagement que la procédure implique), le dénis de réalité atteint ici un sommet de taille. La dysphorie est avant tout un caractère (ou un trouble) propre à certains individus, et remettre en cause la réalité pour ne pas les blesser conserve toujours ce côté surréaliste qui a du mal encore à passer aujourd’hui (parce que ça se voit, c’est choquant). Le film a beau souligner que la transidentité implique toujours un combat (comme Moonlight d’une certaine manière pour l'homosexualité), accorder la remise en cause de la réalité et le banaliser autant finit par instaurer une sorte de déconnexion. Déconnexion problématique quand on vise le naturalisme. Mais un naturalisme favorable, qui prend clairement la défense de son personnage. J’apprécie ce genre de parti-pris en temps normal, mais ici, le décalage va trop loin pour passer. On peut apprécier les transsexuels sans tomber dans la complaisance. Le ton radieux s’émaille toutefois avec la dégradation progressive
et la mutilation, dernier gros ressort d’un drame qui donne enfin des écueils au « sois qui tu veux et fais ce que tu entends » qu’on nous vendait dans les débuts.
Une certaine dureté retrouvée qui redonne un peu de saveur à ce drame de festival (on sent la tentative de performance d’acteur) qui brille avant tout par sa forme élégante. Oui, nous avons là une belle performance d’acteurice, dont le film nous offrira tous les détails dans son empathie, jusque dans ses tentatives sexuelles (ce qui ne manque pas de piquant pour des ados de 16 ans). Le drame aussi a sa forme d’exploitation.