"Le véritable coeur de Rome n'est pas dans le marbre du Sénat mais dans le sable du Colisée" disait le sénateur Gracchus dans le premier Gladiator du nom. Dans ce second volet, plus que jamais l'arène est le théatre de toute la politique romaine, de tout l'empire, avec ses animaux exotiques, de toutes ses frasques, avec ses empereurs cruels, ses présentateurs bouffis et de toute sa violence, avec ce sang coulant à flot.
Mais c'est aussi l'art de la surenchère. Le Colisée nécessitait des spectacles toujours plus époustouflants, chers, incroyables. Il fallait donc un film qui comme le Colisée propose plus encore que le précédent : cette fois, place aux naumachies, batailles navales reconstituées, avec des requins, rien que ça, un champion chevauchant un rhinocéros colossal, et carrément, à la fin, des armées qui s'entretuent. Cette surenchère c'est un peu le pêché des deux empereurs et frères fous, Geta et Carracala, mais aussi et surtout de Ridley Scott qui veut surpasser le film précédent, quitte à en faire beaucoup trop.
Pourtant, le film commence très fort, après un générique graphique que j'ai trouvé fort réussi, avec une scène de bataille dantesque opposant une cité libre de Numidie à Rome. On peut apprécier qu'en plus de débuter in medias res de façon réminiscence comme l'opus précédent, il corrige aussi un défaut de ce dernier : présenter le combattant de Rome comme un barbare sans intelligence. Ici, on a une cité organisée, préparée à affronter l'envahisseur. Ce dernier est présenté comme immensément fort, une déferlante de flèches et de projectiles depuis la mer qui vient se briser sur les murs de la petite cité avant de l'anéantir. La bataille gomme ses effets numériques, parvient à être tangible, lisible et donc galvanisante en dépit de l'introduction de Lucius et de son épouse, dépeinte en archer meurtrière, passablement mièvre.
La musique parvient aussi à tirer son épingle du jeu, bien que marchant sur les pas du géant Hans Zimmer et sans son génie. Gregson-Williams est un habitué des films de Scott et de ce genre, notamment Kingdom of Heaven, qui s'approche beaucoup par sa musique de cet opus. Musiques orientales, épiques, choeurs tragiques. Cela colle finalement assez bien au style du péplum.
Mais voilà. Après sa dantesque introduction, le film patine un peu. Il peine à installer pleinement ses enjeux, avec deux empereurs, Geta et Caralla, dérangés et dérangeants, Lucilia (seul personnage de retour avec le vieux sénateur Gracchus dans cette suite) qui complote avec son mari, général de l'armée romaine revenu triomphant de Numidie (Pedro Pascal, en toute sobriété) et Macrinus, ex esclave de Marc-Aurèle, campé par un Denzel Washington de gala, comploteur, joueur, faiseur de roi. En quelques minutes voilà Lucius réduit en esclavage, sans que personne ne sache qui il est, puis esr envoyé à Ostie et engin à Rome pour les jeux organisés en l'honneur du triomphe du général et de Rome.
Reste alors, dans ce chaos d'une ville au bord de l'effondrement, la violence de l'arène. Tout se passe dans l'ombre du Colisée qui vient traduire, par ses confrontations, les rapports de force de la politique romaine. Tout n'est pourtant pas réussi. Dans une scène assez horrible, qui m'a quasiment sortie du film, on voit Lucius manger un singe enragé et tueur, aux mâchoires si prognathes qu'il n'a plus grand chose du primate. Dans une autre, des requins blancs. On est presque dans de la fantaisie. Je passe sur l'arbalète ou le journal qu'un sénateur lit, d'autant plus que dans d'autres scènes le film tente de coller à l'époque, rendant ces détails, qui n'en sont pas, particulièrement risibles. Pourquoi s'attacher à prendre des personnages historiques dans ce cas ? Ces éléments finissent pas agacer, s'accumulant avec une intrigue qui va trop vite et ne s'attarde que très peu sur les choses : les autres gladiateurs, sauf un médecin, sont totalement absents de l'écran. Idem pour le peuple, que l'on voit souffrir dans la boue, et mourir de faim, même si le réalisateur propose une vision plus juste et moins lisse de Rome : sale, décrépie.
Le film se veut en effet plus nuancé, dans la même veine que Kingdom of Heaven qui montrait que Ridley Scott n’a pas toujours eu un problème avec l’histoire. Rome est présentée comme une menace face aux territoires qu’elle conquiert et les personnages ne sont pas tous manichéens, à l'image du général Accacius qui est un fidèle serviteur de l'empire mais que Lucius hait car il a tué son épouse sur les remparts de Numidie. Il veut donc se venger, sans savoir que ce même Accacius est le mari de sa mère désormais et hait, tout autant que lui, les empereurs déments. C'est surtout le personnage de Macrinus qui bénéficie d'un vrai développement, le film montrant son ascension rapide, par un changement de costumes et de bijoux toujours plus luxueux scènes après scènes. Mais si son personnage est ambiguë, force est de constater qu'il n'a que des motivations particulièrement déceptives pour un ancien esclave : prendre le pouvoir, quitte à tout brûler. Il parvient à manipuler Caracalla pour assassiner son frère avant de se débarrasser de ce dernier dans la violence et la folie et de façon là aussi très très peu historique, Caracalla ayant été tué, alors qu'il faisait ses besoins derrière un buisson par un complot de Macrinus lors d'une campagne militaire, des années après avoir tué son propre frère. Y avait de quoi faire pourtant. Ici, tout se passe en quelques jours et de façon très peu discrètes, ce qui n'aide généralement pas à prendre le pouvoir.
Le grand final, ne pouvant faire mourir Lucius comme Maximus dans le film précédent, décide de faire tuer absolument tous les autres personnages, sans jamais toutefois atteindre l'émotion du premier volet, à cause de deus ex machina cousus de fil blanc : Lucius est le fils de Maximus, etc... Aussi, il faut s'en remettre à Maximus, la figure tutélaire, indépassable du premier volet. On n'hésite pas à convoquer la musique du film précédent, les images en flashback, les citations de son héros. L'arène est finalement son mausolée et ce film son épitaphe. A ce titre Mescal incarne un Lucius charismatique et taiseux comme Russel Crowe, sans le surpasser.
Pourtant la mise en scène tente des choses, en filant la métaphore aquatique avec un fleuve/mer qui emporte les défunts. Macrinus en fera aussi les frais, symboliquement, à la fin, le film s'appuyant sur la mythologie romaine et grecque. Il ne manque d'ailleurs pas de citer quelques auteurs comme pour enrichir sans propos, sans toutefois réelle pertinence. Il utilise, de façon plus habile, toutefois, les animaux, comme symboles : le chien et sa fidélité, le singe et sa primitivité, et j'en passe, sans que l'on en tire toutefois la moralité des fables, si ce n'est les rouages terrifiants du pouvoir et de la tyrannie.
On ne peut pas dire que le film soit raté. Il a certain souffle. Il souffre toutefois d'un effet de surenchère et de faibles enjeux. Reste un péplum spectaculaire, bien réalisé, soigné, sauf à quelques moments, avec de vrais scènes de bravoure et qui ne fait pas factice : des beaux décors, des extérieurs, des figurants, des costumes. Le péplum, genre si rare, se savoure toujours.
Y avait-il toutefois besoin de cette suite ? Non, si ce n'est pour la nostalgie, littéralement le mal du pays, le mal du péplum, le mal de l'arène. Reprenant presque la trame du premier opus, il n'en diffère que dans sa conclusion, qui laisse toutefois perplexe. A supposer une suite, on ne voit pas Lucius prendre le pouvoir et pour cause, dans la réalité, s'en est suivi une crise politique et une guerre civile de cinquante ans ainsi qu'une succession d'empereurs invraisemblables dont plusieurs militaires. Il n'y a pas donc plus grand chose à raconter d'intéressant dans le projet voulu par Lucius : restaurer la grandeur de Rome. La restauration de l'empire romain n'interviendra véritablement qu'avec Dioclétien, des décennies plus tard.
En somme ce film c'est un peu joindre l'inutile à l'agréable. Du sang, du pain et des jeux, l'opium des peuples - et des spectateurs.