Je ne connais pas le cinéma de Louis Malle, et je m’attendais à quelque chose d’un peu voyeuriste, pour montrer les réac’s bouseux du Midwest à un public parisien. Heureusement, ce n’est pas le cas. Malle filme son sujet avec beaucoup de bienveillance, la caméra montre mais ne juge pas. Il dresse le portrait d’une petite ville d’agriculteurs, blanche, conservatrice, chrétienne. Nous rencontrons les jeunes comme les vieux, les agriculteurs aisés comme les jeunes précaires.
Ce qui est intéressant, c’est que tout est déjà là : un manque de mixité ethnique, un état fédéral éloigné des préoccupations rurales, une crise économique qui n’est jamais très loin, le sexisme, l’homophobie et le racisme, une culture centrée autour de valeurs chrétiennes traditionnelles, l’acquisition d’armes à feu. Si ce film nous apprend quelque chose aujourd’hui, c’est que la poudre était déjà là et qu’il ne manquait que l’étincelle.
C’est peut-être le genre d’oeuvre qui permet d’entamer un dialogue. Les préoccupations de chacun.e sont mises sur la table, sans pré-requis moral, ce qui permet d’en parler. Bien entendu, la situation a changé depuis, mais si ce dialogue doit avoir lieu (et il doit avoir lieu), c’est peut-être avec ce genre de travail qu’il peut commencer.
L’oeil est peut-être parfois un peu complaisant, cela dit. Louis Malle parle d’une certaine décence humaine un peu romancée. J’avais constamment en tête la petite ville imaginaire de Twin Peaks : là aussi, tout le monde a l’air d’une grande humanité, ce qui n’empêche pas la violence de se passer dans le silence et l’obscurité. Les deux ne sont pas contradictoires, et cela aurait été intéressant de le montrer davantage. Il ressort néanmoins de ce documentaire une certaine mélancolie, celle d’une petite communauté burinée par l’ennui et l’étroitesse des choix de vie offerts à ses membres.