Ce qui restera comme le plus grand drame de ce remake 2014 de Godzilla, c'est qu'il aurait pu être tellement mieux. Disons-le de suite et sans détour, ce nouveau film est un bon film. Bourré de qualités, mais en même temps plein de défauts impardonnables qui font stagner le film de Gareth Edwards au simple statut de "blockbuster réussi" alors qu'il était à deux doigts d'être une véritable claque, le film de monstre "ultime" que tous les fans du genre attendaient. Godzilla c'est, avec King Kong, le monstre "titanesque" le plus connu du cinéma. Des dizaines de films, et l'honneur d'avoir été remaké par Roland Emmerich. Réalisé par l'auteur du surprenant Monsters sorti il y a presque quatre ans, ce nouveau crû (et deuxième version américaine du mythe) avait deux objectifs : le premier était celui de faire oublier en terme de qualité le carnage d'il y a quinze ans avec ses dinosaures en pâte à modeler, le second était de respecter assez l'oeuvre de Ishiro Honda pour ne pas ressembler à un viol artistique. Si ces deux points sont parfaitement réussis, le statut de Godzilla est cependant bien plus complexe.
Un générique mystérieux, des images d'archives sur une musique d'Alexandre Desplat (extraordinaire, comme toute la bande-originale du film d'ailleurs, à un pouce du chef d'oeuvre). Dès le départ, Godzilla nous propulse dans son univers : le contrat est signé, l'uchronie étant de mise. Cet ouverture qui n'en dit pas trop s'étend par ailleurs sur une bonne partie du film, préférant, comme l'avait fait à son époque Carpenter avec The Thing, s'amuser avec l'imagination du spectateur plutôt que de balancer le fameux monstre dans sa gueule dès les premières minutes. C'est d'ailleurs l'une des plus grandes réussites du film, proposer une première partie qui tient d'avantage du thriller géopolitique d'épouvante plutôt que du film d'action bourrin de bébêtes géantes. Malheureusement, malgré certains aspectes intéressants du scénario, ce dernier est une grande déception. Même s'il est un peu trop demandé à un film qui veut toucher un large public avec un budget pareil d'être trop complexe, Godzilla est relativement cousu de fil blanc. Le destin des personnages, parfois invraisemblable (Aaron, je te parle), est prévisible à souhait. Ça n'empêche pas au film de livrer des références et un respect certain à son homologue de 1954 (conséquences du nucléaire, action de l'homme) et de proposer une morale très intéressante sur la place de l'homme face à la Nature, qui change des discours écologiques habituels.
Malgré sa prévisibilité, il y a quelque chose qui frappe dans Godzilla : une tension palpable qui atteint son apogée dans les scènes d'actions. Le script a beau être un joyeux plantage, Gareth Edwards prouve une nouvelle fois qu'il est un grand réalisateur (ou en tout cas un faiseur très talentueux). Là où la plupart des blockbusters se contente d'aligner des scènes d'actions qui préfèrent le dynamisme, le film choisi de magnifier ces scènes en les teintant d'un onirisme ou d'une construction visuelle et scénique assez vertigineuses. On pense entre autres à la sublimissime scène du parachutage (dont la plupart des plans font d'ors et déjà partie des plus beaux de l'année), mais aussi à la scène du pont de San Francisco, pétrifiante de tension et de réalisme, ainsi qu'à la scène du train, simple mais tétanisante elle aussi.
Malgré son casting quatre étoiles, Godzilla, faute de scénario de qualité, sous-exploite ses acteurs. Réussite technique admirable, doté d'une mise en scène formidable, d'une bande-originale parfaite, d'effets spéciaux réussis, d'une morale intéressante et d'un respect évident pour son ancêtre, le film d'Edwards trouve ses limites dans son fond. On n'en demandait pas trop, pourtant, juste un schéma d'écriture ou un point de vu qui changerait un peu de la normale, ou juste quelques surprises scénaristiques... Mais non, Godzilla fait juste le boulot, et on est d'autant plus déçu quand on se rend compte que, entre les mains d'un metteur en scène moins talentueux, Godzilla n'aurait pas été très intéressant. Recommandable dans tous les cas, car malgré ces regrets, le film se classe comme l'une des expériences cinématographiques les plus fortes de ce début d'année 2014.