En 2014, Godzilla de Gareth Edwards lavait l’affront de 1998 signé Roland Emmerich et démontrait que le cinéma américain était capable de s’approprier avec respect l’un (si ce n’est le) plus grand mythe du cinéma nippon. L’accueil chaleureux réservé au film tant par la critique que par le public donna rapidement lieu à l’idée d’une suite, à laquelle était affilié Gareth Edwards. Quelques mois avant la sortie de son Rogue One : A Star Wars Story, nous apprenions pourtant que le réalisateur quittait le projet. Auteur de l’honnête Krampus, Michael Dougherty était alors annoncé comme nouveau réalisateur de cette suite, immédiatement annoncée comme éminemment plus spectaculaire et généreuse en monstres. Mais la générosité ne fait pas tout…
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Cinq ans ont passé depuis l’affrontement entre Godzilla et le MUTO qui a ravagé San-Francisco. Alors que l’agence crypto-zoologique Monarch, chargée de la gestion des Titans, se voit menacée de passer sous le contrôle officiel de l’armée américaine, une série de kaijūs se réveille aux quatre coins du globe. Le Docteur Emma Russell, accompagnée de sa fille Madison, y voit l’occasion rêvée pour tester l’Orcha, un appareil lui permettant de communiquer par sonar avec les monstres. Mais c’était sans compter sur l’intervention d’un groupe d’écoterroristes obsédés par l’idée de rétablir l’ordre naturel. Parallèlement au déchainement de Rodan, Ghidorah, Mothra, Mark Russell part à la recherche de sa fille et de son ex-compagne, craignant de revivre le traumatisme de 2014 et de la perte de son fils.
Apparemment soucieux de tenir compte des critiques qui reprochaient au film de Gareth Edwards de ne pas être assez spectaculaire et de ne pas offrir suffisamment de présence à l’écran à Gojira, Michael Dougherty joue la carte de la démesure dans cette suite. Ainsi, ce n’est pas moins de 17 Titans qui foulent la Terre. Et si en réalité seuls quatre seront véritablement exploités, les monstres s’avèrent effectivement bien plus présents. Le problème est que là où le film d’Edwards bénéficiait d’une réelle identité esthétique, le film de Dougherty est absolument dénué de personnalité. Si nous avions tant aimé Godzilla, c’est parce qu’il proposait une excellente vision auteurisante de la franchise. Edwards y proposait un remarquable jeu sur les échelles, des séquences absolument saisissantes — ce saut en parachute sur le requiem de Ligeti ! — et surtout un crescendo du spectaculaire qui donnait lieu à une véritable iconisation de Gojira. Aussi, les enjeux humains ne prétendaient jamais à une quelconque consistance, manière propre au genre du kaijū eiga de faire des monstres les personnages centraux et les réels vecteurs d’émotion.
Autant dire que ce Godzilla II Roi des monstres est la face inversée du film de 2014. Si Michael Dougherty nous sert effectivement une quantité impressionnante d’affrontements entre monstres, ceux-ci sont au mieux insipides, au pire absolument illisibles. Entrecoupées de plans supposément iconiques, qui feront éventuellement de beaux fonds d’écran, ces séquences souffrent toutes d’un découpage laborieux et d’une gestion catastrophique des jeux d’échelles. Pire encore, l’écriture de cette suite pose de très nombreux problèmes : personnages alibi qui disparaissent en cours de route (Charles Dance), un père de famille homme obsédé par l’idée d’abattre Godzilla depuis cinq ans soudainement convaincu de son utilité, des kaijūs qui traversent la moitié de la planète pour s’affronter mais qui ont besoin des humains pour être guidés sur les derniers kilomètres, sans parler des « terroristes » qui laissent l’Orcha sans surveillance, permettant à Madison Russell (la difficilement supportable Millie Bobby Brown) de le subtiliser.
Notre amour des monstres pourrait presque nous faire pardonner ces facilités d’écriture et une réalisation bancale si au moins le film leur rendait honneur. Au lieu de ça, le script des trois scénaristes (des cinq plumes ayant signé le film de 2014, il ne reste plus que Max Borenstein, assurément moins talentueux que Frank Darabont et David S. Goyer qui ont depuis quitté le navire) met un point d’honneur à célébrer la famille. Ainsi, les monstres et les enjeux planétaires sont sans cesse relégués au second plan pour privilégier ce qui pourrait réellement s’apparenter à du Roland Emmerich, à savoir le drame d’une famille éclatée conduit par des répliques aussi ridicules que « Maman, tu es un monstre ! ». Preuve ultime du ratage total : là où Gareth Edwards rendait le sacrifice de Godzilla extrêmement touchant, Dougherty ne parvient jamais à susciter de l’empathie pour ses kaijūs, et ce même lorsqu’ils sont au plus mal.
À ses nombreux défauts s’ajoutent le score générique au possible d’un Bear McCrary apparemment en pilote automatique et cette manière de faire entrer au chausse-pied les références à King Kong et Skull Island afin de préparer les fans au choc Godzilla vs. Kong annoncé pour 2020… Car c’est bien vers cet horizon que convergent tous les efforts maladroits de ce Godzilla II Roi des monstres : préparer le terrain pour la suite. Pour l’heure, force est de constater que la fusion entre le sérieux et l’esthétisme du Godzilla de 2014 et la couillonnade décomplexée de Kong : Skull Island ne donne rien de bon.