Un nouveau Godzilla en 2023 ? Une création japonaise ? Qui vient surgir dans un paysage cinématographique où le Godzilla américain, prêt à sortir son quatrième opus et à se mesurer à une horde de gorilles aux côtés de son comparse de toujours, King Kong, dominant et écrasant le box-office. Alors que Hollywood continue sur sa lancée spectaculaire, le Japon prend une direction audacieuse, potentiellement inaugurant une nouvelle franchise. Est-ce une illustration parfaite du contraste entre la décadence d'Hollywood et la vitalité du cinéma japonais ? La réponse est oui. Avec "Godzilla Minus One", le Japon offre une leçon magistrale de cinéma, un véritable bijou de kaiju qui se démarque nettement des monstres d'outre-Atlantique.
Le film débute sur la survie et le désarroi du kamikaze Shikishima après une attaque de Godzilla sur la base militaire de l'île Odo. Survivant à cette attaque, il retourne à Tokyo, ravagée par les bombardements, où il rencontre Noriko Ōishi et un bébé orphelin, Akiko. Shikishima trouve un sens à sa vie en devenant dragueur de mines, un travail qui l'amène finalement à affronter Godzilla de nouveau.
Le protagoniste, Kōichi Shikishima, se retrouve confronté à un traumatisme qui surpasse les horreurs de la guerre elle-même. Godzilla, bien plus qu'un simple monstre, devient l'incarnation de ses cauchemars, hantant ses rêves et, progressivement, la réalité de la ville. Tachibana, personnage complexe, va projetter sa colère et sa frustration sur Shikishima, l'accusant d'être responsable des morts pour n'avoir pas agi contre le monstre. Cette culpabilité, un fardeau invisible mais oppressant, s'installe en Shikishima, rongeant son être et le plongeant dans une honte abyssale.
Le film dépeint ensuite un Japon en lambeaux, un paysage post-apocalyptique où les cicatrices de la guerre sont omniprésentes. Dans cet univers dévasté, les trois protagonistes – Noriko, Koichi et le bébé –, tous orphelins, sont contraints de cohabiter, tissant un semblant de famille dans une atmosphère de désolation. Cette coexistence forcée, loin des liens familiaux traditionnels, reflète une société brisée, où les liens du sang sont remplacés par ceux du destin et de la survie.
Cette configuration atypique – un père, une mère, une fille, sans liens biologiques ni affectifs préexistants – devient le miroir d'un Japon en quête de reconstruction. Le film explore avec finesse la solidarité naissante entre ces âmes perdues, une unité et une force émergeant des cendres du désespoir. C'est cette solidarité, née de la souffrance partagée et de la nécessité de rebâtir, qui est la véritable protagoniste de l'histoire, une métaphore puissante d'un pays qui, tel un phénix, cherche à renaître de ses cendres.
Dans la seconde moitié de "Godzilla Minus One", le film opère une transition temporelle audacieuse, où le passage du temps s'effectue avec une célérité qui pourrait sembler déroutante. Cette accélération narrative, loin d'être un défaut, reflète avec acuité l'état d'esprit des protagonistes, en particulier celui de Koichi, dont les paroles semble dire que cette reconstruction est passée vite sans qu’on s’en aperçoive, ces paroles résonnent comme l'écho d'une époque en pleine mutation. Cette ellipse temporelle n'est pas simplement un choix stylistique ; elle sert à illustrer le processus laborieux de reconstruction d'une ville dévastée, tant au niveau matériel qu'émotionnel.
Le domicile de Koichi, autrefois ébranlé, se métamorphose et acquiert une structure plus robuste, montrant la résilience et l'espoir renaissant des cendres de la désolation. Les personnages, tout comme leur environnement, subissent une transformation palpable, mais les souvenirs du passé demeurent, tels des spectres inaltérables.
La profession de dragueur de mines, embrassée par Koichi et ses compagnons, se révèle être une métaphore subtile de leur véritable quête : non pas de purifier les fonds marins, mais de se préparer à une confrontation inéluctable avec Godzilla. Cette révélation intervient avec une brutalité sans pareille lors d'une attaque de Godzilla contre leur navire, une scène d'une intensité terrifiante qui souligne l'impuissance des personnages face à la puissance incommensurable de la créature.
Le film, par cette mise en scène, évoque avec brio l'absurdité et la brutalité de la guerre. À l'instar des soldats envoyés au front sans espoir de retour, les personnages sont plongés dans une lutte apparemment vaine contre un ennemi impitoyable. Cette lutte rappelle les sacrifices des kamikazes, évoqués à travers des discours et des stratégies militaires, mettant aux yeux de tous les sombres vérités de la guerre et la manipulation des soldats.
Dans la troisième et ultime partie de "Godzilla Minus One", le récit atteint son paroxysme, sans que je ne m'aventure dans des révélations susceptibles de gâcher l'expérience pour les futurs spectateurs. Ce segment crucial du film dévoile l'émergence d'une solution collective, un acte de résistance orchestré par des citoyens, anciens de la marine pour la plupart, qui décident de piéger le colossal Godzilla dans du fréon. Cette stratégie, loin d'être un simple artifice narratif, symbolise une rébellion contre les mensonges et les échecs d'un gouvernement en fin de guerre, exprimant un profond désir de vérité et de justice de la part du peuple japonais, épuisé par le conflit et ses conséquences tragiques.
Le monstre Godzilla, dans cette optique, transcende sa simple apparence de créature destructrice pour devenir une allégorie multiforme. L'une des scènes les plus époustouflantes du film illustre cette transformation : Godzilla, dans un déchaînement de violence, ravage Tokyo, emportant avec lui la vie de 30 000 personnes. Cette séquence, d'une intensité dramatique saisissante, met en lumière non seulement la cruauté impitoyable de Godzilla, mais aussi son rôle symbolique en tant que représentation des forces destructrices incontrôlables auxquelles la société est confrontée.
L'impuissance des habitants, laissés à leur sort face à cette apocalypse, les plongeant dans un sentiment d'abandon et d'aliénation. Godzilla incarne ici non seulement la menace physique, mais aussi la manifestation des échecs politiques, des mensonges d'État et de la douleur collective d'une nation meurtrie. Il devient une figure allégorique de la guerre elle-même – impitoyable, dévastatrice, et apparemment insurmontable.
On observe comment le réalisateur Takashi Yamazaki, malgré un budget restreint pour un film de cette envergure, parvient à user de son intelligence cinématographique pour instaurer un sentiment d'insignifiance face à Godzilla. Cette sensation d'être minuscule devant la monstruosité de Godzilla est un sentiment que je n'avais pas éprouvé depuis longtemps.
Contrairement au Godzilla de 2014, issu du film homonyme, où la créature apparaît seulement que 8 minutes dans tout le film, "Godzilla Minus One" fait preuve d'une approche différente. Dans le film de 2014, malgré un budget conséquent, Godzilla est dépeint comme une entité presque bienveillante, un titan silencieux et imposant. Les scènes, telles que celle post-tsunami ou celle de l'aéroport, mettent en exergue la grandeur de Godzilla, mais échouent à capturer pleinement sa nature terrifiante. En revanche, dans "Godzilla Minus One", se déroulant au Japon, Godzilla n'a aucune limite et incarne une force destructrice inarrêtable. Cette différence souligne une métaphore intrigante : Godzilla, perçu comme l'allié des Américains et l'ennemi du Japon, rappelle subtilement cet événement si tragique qui lie ces deux grands pays.
Le spectateur est confronté à une sensation d'impuissance et d'insignifiance face à l'énormité et à la férocité de Godzilla. À plusieurs reprises, nous, en tant que spectateurs, frôlons la mort, esquivant de justesse les puissants coups de queue et échappant de peu à la gueule béante de la créature prête à nous engloutir. Les plans en contre-plongée, brillamment orchestrés, nous placent dans une position où nous anticipons d'être dévorés, accentuant notre impuissance face à la loi imposée par Godzilla. Les scènes où des toits s'effondrent, des trains sont arrachés par la mâchoire de Godzilla, et des bateaux de plusieurs milliers de tonnes sont projetés comme de simples jouets, renforcent la représentation de Godzilla en tant que force de la nature incontrôlable et implacable. Ce monstre, dépourvu de toute moralité ou compromission, ne fait pas de distinction entre riches et pauvres, coupables ou innocents, sacré ou profane, il détruit tout sur son passage.
Cette représentation de Godzilla comme une force de la nature incoercible met en lumière l'hubris de l'humanité qui croit pouvoir dominer la nature grâce à son intelligence et son progrès technologique. Cependant, cette nature, reflet de la propre nature humaine, demeure une force monstrueuse, capable de détruire tout pour parvenir à ses fins.
L'attrait de ce film réside dans la confrontation de l'humanité avec une force supérieure, non pas intellectuellement, mais en termes de puissance brute. Godzilla, bien que facilement attiré dans des pièges, demeure une bête sauvage d'une puissance inégalée pour l'homme. Ironiquement, Godzilla se nourrit de la puissance de la bombe atomique, l'arme la plus destructrice créée par l'homme, pour devenir encore plus puissant. Cela crée une poignante ironie du sort, où l'humanité se retrouve forcée de coexister avec ce monstre, un produit de ses propres excès et de sa quête incessante de puissance. Chaque tentative pour l'anéantir ne fait que le renforcer.
La destruction répétée de Tokyo sous les coups de Godzilla est une évocation douloureuse de la peur profonde d'un retour à la destruction massive, semblable à celle vécue lors des conflits mondiaux. Cependant, le film nous amène à une réflexion plus profonde : Godzilla, dans son incessante régénération, devient une représentation de la persistance de la vanité humaine. L'humanité, dans sa quête arrogante de maîtrise par la force et l'intelligence, se confronte à une réalité où ses armes et sa technologie semblent dérisoires. La réplique de Tachibana à Koichi dans la séquence d’ouverture disant qu’une mitrailleuse peut tout détruire, démontre la puissance supposée des armes dans les mains de l’Homme.
Godzilla, dans cette perspective, n'est pas seulement un monstre à combattre, mais un mal psychologique avec lequel il faut apprendre à cohabiter. Cette coexistence forcée avec Godzilla symbolise la menace permanente d'un nouveau conflit, une ombre planant sur l'humanité, rappelant que la folie et l'erreur humaines sont susceptibles de réveiller à tout moment cette force destructrice.
Malgré la solidarité et la bravoure des citoyens qui s'unissent pour surmonter cette épreuve, la conclusion du film laisse entrevoir une vérité inévitable : la menace de Godzilla, à l'instar du traumatisme de la guerre, demeure une réalité impalpable, toujours présente. Le traumatisme de la guerre, insurmontable malgré toutes les forces déployées, imprègne les générations futures d'une empreinte indélébile, ce monde persiste à croire que ce conflit peut être surmonté par les armes, une illusion tragique qui révèle l'ironie du sort humain..
"Godzilla Minus One" n'est donc pas seulement un film sur un titan; c'est une exploration poignante de la mémoire collective, de la résilience face à l'adversité, et de la complexité de l'esprit humain face à l'incommensurable.
Le titre 'Godzilla Minus One' révèle toute sa profondeur lorsque l'on comprend que, dans l'après-guerre, il ne s'agit pas simplement de reconstruire à partir de zéro. Au-delà des bilans matériels et humains, il existe une dimension plus intangible à restaurer : la peur. L'humanité ne repart pas de zéro, mais d'un point encore plus reculé, d'un déficit émotionnel et psychologique. Nous ne recommençons pas à zéro, mais à '-1', d'où la pertinence de ce titre évocateur.
En conclusion, "Godzilla Minus One" n'est pas seulement un film ; c'est une expérience cinématographique à part entière, d'autant plus éphémère en France, où il ne sera projeté que pendant deux semaines. Il faut absolument le voir en salle ! (si votre cinéma offre des projections en 4DX, il faut foncer car c’est encore plus fou). Ce film s'efforce à révolutionner le genre et pourrait bien marquer un tournant. Avec une maîtrise parfaite du langage cinématographique, "Godzilla Minus One" se distingue comme une œuvre intelligente et profondément réfléchie. La bande originale du Godzilla de 1954, réinterprétée de manière époustouflante, va résonner particulièrement auprès des fans de Godzilla, qui y trouveront une source d'émotion intense, peut-être même jusqu'à verser une larme.