Three strikes, everyone's out. Après une décennie 2000 barbotante passée à se (re)chercher, Fincher a trouvé sa formule magique des années 2010 ; encore mieux que le jaune d'oeuf de Mamie, l'association de techniciens de génie au service d'un récit éprouvé par l'encre et le papier semble faire des miracles depuis 2010. Méthode si précise, régulière, que l'on pourrait s'inquiéter à retrouver quelques complaisances et facilités dans les futurs travaux de cette équipe de choc. C'est sans compter sur un réalisateur qui depuis 20 ans de carrière au cinéma se refuse à toute familiarité, en sautant d'un registre à l'autre avec l'aisance et la vivacité d'un wallaby dopé au crack.

Gone Girl, donc. Je ne parlerai pas du récit, puisque cela fait bien évidemment partie des choses qu'il faut découvrir par soi-même, et que d'autres maîtres d'armes en parleront bien mieux que moi. Récit en tout cas très bien ficelé de la part de Miss Flynn, dont la plume avait accouché d'une oeuvre déjà très cinématographique à la base, transposée avec bonheur au 7ème Art. Fincher se charge de magnifier ce récit en lui donnant formes et substance, avec le brio qu'on lui connaît. Après tout, peu de cinéastes peuvent se vanter d'avoir pondu de si bons films en compagnie de metteurs en scène aux horizons variés, bons (Millenium, Seven) comme mauvais (Fight Club, Zodiac). Alors quand le matériau de base est déjà d'excellente qualité, comme c'est le cas ici ou pour The Social Network, le homerun est pour ainsi dire acquis d'avance.

C'est un peu réducteur de considérer le film comme une 'simple' réussite formelle et formaliste, d'un autre côté tous les films de Fincher le sont (exception faite du lourdingue Benjamin Button). Image impeccable, montage vif et ciselé, acteurs au top et ambiance sonore de haute volée, si l'ensemble fonctionne c'est aussi parce que le cinéaste sait s'entourer des bonnes personnes et en tirer le meilleur qu'elles ont à offrir. Si Hollywood est une industrie, Fincher est le plus grand faiseur de rêves de cette génération, après Hitchcock, Spielberg et Scorcese. Des réalisateurs plus mégalos auraient tôt fait de s'effondrer sous le poids de leur propre ambition, à vouloir superviser différents postes à la fois. La force de Fincher vient de sa capacité à gérer un film comme un récital : sans orchestre, le chef-d'orchestre n'est rien. Une approche résolument technique du cinéma, mais qui porte ses fruits, car après tout sans les lumières douces et les talents de portraitiste de Jeff Cronenwerth, sans la rigueur millimétrée de Kirk Baxter, sans les compositions de Ross et Reznor, Gone Girl ne serait qu'un thriller de plus au milieu d'un marché déjà bien saturé.

Même constat du côté des acteurs. Ben Affleck, unanimement reconnu pour être bon ou tout simplement atroce en fonction du réalisateur qui le dirige, s'impose ici sur un prestation al dente, équilibre parfait entre benêt apathique et homme brisé dans son orgueil. Quant à Rosamund Pike, peu d'adjectifs peuvent décrire l'excellence et la justesse de sa prestation, un seul à vrai dire : transcendant. Et pourtant, même si je suis fan du joli brin de femme qu'elle est, elle ne m'aura jamais vraiment convaincu en tant qu'actrice au-delà de Pride & Prejudice et An Education, la faute à des rôles pas toujours très intéressant. Ici pourtant, oubliez ce que Fincher a réussi à obtenir avec Kristen Stewart ou Rooney Mara, on navigue dans des sphères plus hautes encore.

Au milieur de cet orchestre, le cinéaste lui guide ses talents pour leur indiquer la tonalité générale de l'oeuvre. On joue alors sur les palettes de couleur, tantôt naturelles pour souligner par un contraste intéressant la facticité de ce rêve américain typique, tantôt verdâtres quand notre héros en est extirpé pour être jeté en pâture à la justice, aux médias, au public ; la caméra s'approche ou se recule à loisir lors des scènes de discussion, se concentrant sur un personnage ou au contraire l'isolant au sein de son environnement ; la musique, utilisée avec discrétion et parcimonie, s'infiltre insidieusement, contamine chaque séquence, elle se veut menaçante là ou The Social Network versait dans le mélancolique et Millenium dans le lugubre. Bref, les mêmes éléments, réarrangés au profit d'un récit abrasif (et pas dénué de cynisme, eu égard de la fin renvoyant directement au début du film) sur la vie de couple. On retrouve les petits tics de Fincher, ses plans sur les intérieurs de frigos (qui, aussi extravagant que cela puisse paraître, représentent une composante essentielle de son cinéma), les twists habituels nous laissant bouche bée et prêts à tomber de notre siège : bien que d'apparence très différents en genres et en styles, les univers du réalisateur, par similitude, sont des machineries complexes et fermées dont lui seul possède la clé. Le langage cinématographique commun n'est qu'un leurre donnant au spectateur un sentiment de préhension sur cet univers, Fincher est seul en coulisses à tirer les ficelles et à déterminer ce que l'on doit savoir ou non. Chacun de ses films est un puzzle en soi, c'est la base-même de son cinéma depuis Seven, et je dois bien admettre qu'à force de multiples essais (transformés), ce bougre un brin pervers est passé maître dans l'art de manipuler ses spectateurs, ce film en est la meilleure preuve.

Et le pire ? C'est que j'en redemande. Je pense que moi aussi je dois être un brin pervers.

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le 14 oct. 2014

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HarmonySly

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