Gone Girl, adapté de son roman par Gillian Flynn, ne se veut pas un "grand film important à Oscars" c’est un thriller populaire assumé noueux comme un bretzel, tendu comme un string, plein de suspense et de rebondissements rocambolesques dans la grande tradition populaire qui introduit avec son antagoniste une figure qui pourra prendre place au coté d’Hannibal Lecter ou John Doe. Cela ne l’empêche d’évoquer des thèmes sérieux tout aussi bien que le ferait un drame conjugal mais il le fait en restant divertissant et étonnamment drôle pour un Fincher même si c’est un humour très noir que le réalisateur qualifie de "sick funny" (humour malsain).
Au travers les flash-backs qui viennent éclairer la relation en apparence parfaite entre Amy et Nick le film porte un regard assez brutal sur l’institution du mariage ou passé la magie des premiers moments ou chacun présente à l’autre une vision idéalisée de soi, Fincher pour l’occasion en une séquence romantique écrase toutes les romcom de la décennie, les conjoints doivent faire face à la réalité du quotidien (le couple est frappé par le chômage comme le fut Gillian Flynn devenue romancière après avoir été licenciée du magazine Entertainment Weekly).Bientôt l’impossibilité de faire changer l’autre transforme le mariage en prison pour les deux conjoints.
Fincher et Flynn y ajoute une satire du monde des médias et de l’attraction morbide qu’exercent sur le public et les tabloïds ses grandes affaires criminelles.Entre lynchage des présumés coupables dans les chaines d’infos continues et confessions télévisées rédemptrices et larmoyantes.
Gone Girl marque la troisième collaboration consécutive de Fincher avec le directeur de la photographie Jeff Cronenweth (fils de Jordan directeur de la photographie de Blade Runner et lui-même déjà à ce poste sur Fight Club). Le duo a trouvé un style caractéristique entre sophistication des cadres et précision du montage ici pas de caméra portée, de shaky-cam et de montage saccadé, une désaturation des couleurs aux teintes vertes et jaunes.Cette une mise en scène méticuleuse porte un œil clinique sur les personnages qui s’agite devant l’objectif. Même la musique ou plutôt l’atmosphère sonore de Trent Reznor et Atticus Ross ne cherche jamais à souligner ou introduire une émotion.
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Nick Dunne (Ben Affleck) sur le grill devant l’officier Jim Gilpin (Patrick Fugit) les si gentils parents d’Amy (David Clennon et Rand Elliot) et le detective Rhonda Boney (Kim Dickens)
La froideur relative de son style et sa précision ont souvent valu à David Fincher des comparaisons un peu faciles avec le cinéma de Stanley Kubrick. Ses films sont pourtant loin d’être dénués de charge émotionnelle, bien au contraire il laisse le soin à ses comédiens admirablement dirigés d’apporter cette dimension. Si on le sait tout aussi méticuleux dans la direction d’acteurs, avec parfois des dizaines de prises (certes comme Kubrick) cette exigence n’a pas pour but d’en faire des marionnettes mais de libérer les comédiens de leur technique pour faire surgir la vérité des personnage. A mes yeux ils sont plus naturels chez Fincher que chez ce cher Stanley.
C’est peu dire qu’il bénéficie d’un casting d’exception ici avec le couple Affleck/ Pike. Ben Affleck se glisse sans aucun mal dans la peau de Nick grand gaillard sympathique qui se retrouve pris dans un maelstrom médiatique (Fincher l’a choisi en partie car il avait eu cette expérience lors de sa liaison avec Jennifer Lopez) qui met à jour ses faiblesses, ses petits mensonges et ses lâchetés. Son jeu très nuancé nous permet de sentir le désarroi de Nick sans jamais dissiper son ambiguïté.
Rosamund Pike à la lourde tache de faire vivre les multiples facettes de la disparue extrêmement différentes selon qui les raconte…L’actrice semble changer physiquement sous nos yeux selon les aspects d’Amy qu’elle incarne. Même si nous avons au cours du film accès à sa vie intérieure son personnage gardera toujours une part de mystère que nous ne dissiperons jamais.
Le reste du casting est au diapason Carrie Coon (déjà extraordinaire dans la série The Leftovers) est génialement empathique dans le rôle de Margo la sœur jumelle de Nick à tout comme Kim Dickens en enquêtrice tenace ou Tyler Perry super cool en Tanner Bolt super avocat clairement inspiré de Johnnie Cochran qui fit acquitter O.J Simpson.
Pour en revenir à la question des influences (je préfère parler de voisinage car je doute que Fincher soit "influençable") je les verrais plus avec cette variation du thriller Hitchcockien (blonde glaciale comprise) accompagné de cette vision acide du monde des médias avec le cinéma de Brian dePalma et bien sur avec le Basic Instinct de Paul Verhoeven.
Pour conclure les personnages de Gillian Flynn se distinguent par leur intelligence et leur façon réalistes de tirer des conclusions logiques des circonstances (même rocambolesques) dans lesquelles ils se trouvent. C’est cette intelligence permet à Fincher de rendre d’autant plus crédible la glaçante conclusion du film qui se termine par une image parmi les plus marquantes de sa filmographie.
Conclusion : Aller voir Gone Girl c’est vivre la meme experience que celle vécue par les spectateurs qui allaient découvrir un nouveau film d’Hitchcock dans sa période la plus faste. Un réalisateur en pleine maturité dans son genre de prédilection avec la garantie de passer un grand moment.L’excellence du divertissement.