Nouveau film de Fincher dont j'ai entendu pas mal de bien, dit par des gens dont j'estime le goût en plus. Je dois déjà le remercier d'avoir rendu son film suffisamment appétissant pour que mon amie aie accepté de le voir plutôt que le sucrailleux Mommy.


Hé bien ce fut une expérience intense et j'en retire plusieurs choses. Comme toujours avec Fincher, on retrouve des tics de réalisation et des manières d'acteur. Il y a cette façon de basculer d'un groupe de personnages à un autre par l'intermédiaire de la télé allumée sur les news ou le talk show. Il y a aussi cette actrice qui ne parle qu'en chuchotant, portant ainsi l'art New-yorkais du "vocal fry" à un degré suave et intimiste. Il y aussi cette manière de couper le plan au moment où le mouvement de caméra débouche sur quelque chose.


On y trouve surtout cette superbe mise en abyme du rôle d'acteur. Le film se présente comme une timeline de montage vidéo :



  • il y a la piste 1, le premier degré, la vie de façade qu'affichent tous les personnages. De nombreux effets comiques viennent de ce que certains personnages comme Noelle Hawthorne, Andie ou Ellen Abbott ne possèdent que ce seul premier degré, et se sortent maladroitement de la confrontation à la véracité des faits. Dans l'histoire, alors que Nick est forcé d'abdiquer sa nature duplice, Amy sauve la face devant le grand public, devant la grande Amérique qui regarde.


  • Vient ensuite la piste 2, qui est l'intimité des personnages. Non seulement les héros, mais aussi certains des personnages secondaires en sont pourvus : ainsi le couple qui dérobe sa thune à l'héroïne encapuchonnée. C'est sur cette piste que le héros vit son cauchemar intérieur, c'est celle-ci qu'il partage avec sa sœur. C'est également sur celle-ci que Fincher amène à faire parler Amy, dans un rare moment ou sa voix reprend un peu de force.


  • Enfin la piste 3, celle des acteurs derrières les personnages (pour faire simple). Sur cette troisième piste, je pense principalement à la séquence du passage chez Sharon Scheiber : nous voyons les personnages autour de Nick stresser pour sa crédibilité, le considérant comme particulièrement faillible alors que Ben Affleck est la star du film, l'acteur au générique qui a le plus prouvé sa qualité. Tandis que le face à face sur le plateau de télévision qui est déjà un pic de suspense- est largement en faveur de Sharon, le vrai duel est en réalité sur un plateau de cinéma où Affleck largement l'avantage. Cette mise en perspective rend cette scène particulièrement savoureuse et centrale dans le film. Ce registre est évidemment réactivé lorsque le faisceau de l'intrigue se braque sur Desi Collings. Voir ainsi l'acteur dont on sait l'homosexualité jouer une scène de sexe hétéro particulièrement bestiale, et étaler devant Amy tout le luxe dont est pourvu sa maison, alors même que l'acteur est devenu célèbre avec un personnage qui arbore le même goût de luxe que dans le film amènent le spectateur à établir une complicité directe avec le réalisateur en court-circuitant les personnages et l'univers du film.



Ces trois pistes correspondent à trois regards simultanément posés sur les protagonistes de l'histoire : celui du spectateur, de l'opinion publique (America is watching), et du réalisateur. Alors qu'un film se déroule traditionnellement entre le premier et le dernier des trois, Fincher utilise le procédé qui consiste à incorporer une sorte de masse indénombrable (réminiscence du choeur antique sans doute) à l'univers de l'histoire, incarnée par quelques visages et qui devient tout de suite un moteur essentiel de l'intrigue. Il n'est naturellement pas le premier à le faire, mais arrive très bien à mettre en scène l'influence et le caractère terrifiant de cette troisième puissance. La différence de trajectoire de ces personnages conduit l'homme à être constamment sous le regard de l'opinion à moustache, celle dont les yeux donne l'impression de vous regarder où que vous soyez dans la pièce tandis que la femme s'y soustrait continuellement, par la fuite et le grimage.


Avec des premiers rôles exceptionnels, Fincher livre une fable sur la surveillance et la trahison. En réduisant la psyché humaine à trois niveaux étanches, il peut nous mener en bateau en sautant sans cesse d'une piste à l'autre. La disparition de l'amour, la dégradation lente et irrémédiable de la relation deviennent entre ses mains un film grinçant, brutal et finalement peu dérangeant. Aucune scène insoutenable (à l'inverse des Noces rebelles), des seconds couteaux idiots et amusants, et du suspense à la pelle. Fincher fait ce qu'il sait faire de mieux : un film calibré pour plaire -quoiqu'un peu long- et qui suivra la route de Fight Club, Seven et Cie vers les sommets des classements, panthéons et autres hall of fame.


790 mots...
PS : je dois dire quand même un mot de la fin. Cette fin est une non-fin, et si elle est probablement fidèle au livre, l'occasion eut été bonne de s'en affranchir un peu et de plancher sur une vraie fin de cinéma, prendre un risque et proposer quelque-chose d'un peu plus percutant.

Fabrizio_Salina
7
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le 10 nov. 2014

Modifiée

le 17 nov. 2014

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Fabrizio_Salina

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