C'est un film de circulations, de trajets imposés, de regards croisés, perdus, abandonnés. Les lieux sont réels mais les formes sont abstraites, les sensations fortes, les repères bousculés. La démarche de Maud Alpi est ici de mettre en place une communication entre des êtres faibles, les animaux qui attendent dans la bouverie (antichambre de l'abattoir), le jeune homme qui y travaille, son chien qui observe.


Si la forme oscille entre documentaire et fiction, le film ne cherche pas à nous informer sur le fonctionnement d'un abattoir mais plutôt à nous offrir un regard multiple, celui de la caméra, celui des animaux canalisés dans le labyrinthe des allées, des enclos, des passages, celui du jeune bouvier qui répète les gestes appris puis s'en détourne, celui du chien qui se promène, découvre, se retire.


Il est aussi question de chairs, de peaux, de respirations, de ce que nous partageons avec les autres mammifères, le cuir retiré de la carcasse, la truffe du chien contre les naseaux du bœuf, la peau nue du jeune homme et de son amie.


Le film dit peu mais montre et fait entendre. Il n'est juge de rien et nous dit juste "regarde", "écoute". La qualité du travail visuel et sonore est d'autant plus impressionnante qu'on imagine les difficultés de tournage, principalement de nuit, dans un lieu qui ne s'y prête pas.


En laissant de côté la structure narrative, Gorge cœur ventre explore d'autres pistes (abstraites ou fantastiques) en morcelant l'espace, ne reliant pas les lieux entre eux, nous propulsant de l'extérieur lumineux (c'est l'été, on se baigne, il fait chaud) à l'intérieur sombre (où il fait chaud aussi mais d'une chaleur moite). Tout le monde semble alors de passage, les animaux marchant vers la mort, le jeune bouvier sans domicile travaillant ici avant de reprendre la route, son chien explorant les alentours.


Ce n'est pas un film confortable mais il n'est pas douloureux. Il ne s'agit pas de choquer mais d'accompagner, d'apprendre à voir, à partager, à entendre. Il s'agit aussi de regarder la mort venir, de s'interroger sur notre place dans le monde, de savoir qui est l'homme.


Faisant écho à Aube rouge de João Pedro Rodrigues ou à Léviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, Maud Alpo signe avec Gorge cœur ventre une œuvre hybride et moderne, puissante, unique.

pierreAfeu
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le 23 nov. 2016

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