JLG façon petit écran. La Grande Illusion. Une certaine idée de faire du cinéma, ou de l'Art de rendre visible l'invisible ( Paul Klee ). Grandeur et décadence. Keskelar ? Godard. Juste, comme ça.
1986 fut l'année d'un télé-film godardien magnifique et salutaire : Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma. Un poème en forme de poil à gratter, plus noble et plus universel que n'importe quel documentaire historique. Godard y filme un Mocky-Almereyda puissant en producteur à la petite semaine, flanqué d'un Léaud-Bazin drolatique en réalisateur auditionnant les demandeurs d'emploi anonymes. Surimpressions sidérantes, grisaille télévisuelle et science du cadre proche de la révolution, encore une fois. L'insolence de Jean-Luc se glisse comme souvent au détour d'un carton ou des frasques clownesques de Jean-Pierre alias Gaspard, et sa connaissance du Septième Art ajuste les situations pour mieux les mettre en évidence.
Mettre en abîme le réel filmé évoque ici la distanciation brechtienne car la réflexion godardienne ( au sens propre comme au figuré ) prend ici la forme du geste politique et du pari de l'intelligence des spectateurs. Godard oblige le film Grandeur et décadence demeure intégralement inégal, parfois dur à digérer mais aussi traversé de véritables moments de beauté bouleversante. Montrant beaucoup mais donnant encore plus à voir cette production TF1 des années 80 se voit magnifiée par la réalisation constamment inventive de JLG ainsi que par une utilisation flamboyante de la musique pour cordes, percussion et célesta de Bela Bartok.
Au coeur des cacophonies, des aphorismes suffisants et des problèmes techniques littéralement affichés une scène, extraordinaire : une mer de chômeurs soufflant jusqu'à l'obsession une litanie de mots désarçonnante, passant comme autant de vagues devant l'oeil du caméraman au son d'une élégie grisante et pathétique. La scène est incroyable dans l'idée qu'elle apporte, dans son tempo rigoureux et en même temps élégamment imparfait, mal taillé, ouvrant les portes d'un imaginaire tout sauf attendu pour une production TV. Le commerce du cinéma devant la toute puissance de la télévision. La Grande illusion. Comme ça.
Godard filme cette satire politique avec un soupçon de polar noir, intégrant les artifices du petit écran pour mieux les juger par l'entremise du personnage de Gaspard Bazin ( Léaud, superbe en réalisateur emphatique ). Ni vraiment fiction, ni vraiment documentaire cette oeuvre méconnue de la carrière de Godard en constitue pourtant l'un des sommets. Unique et précieuse.