Si j'intitule ma critique (qui signe d'ailleurs mon retour dans le critique-game après une petite pause) de cette façon, c'est grâce au morceau du même nom de The Dø, qui est utilisé dans une scène totalement jouissive au début de ce long métrage.
Je connaissais Grave avant de le voir. Articles, interviews, critiques (sans spoilers), j'avais tout lu, tout vu. Je ne le regrette même pas, et j'ai l'impression que ce film est quelque chose qui va me marquer, peut-être et je l'espère, pour toute une vie. On ne ressort pas indemne d'une projection de Grave. L'estomac barbouillé, le mollets qui grattent, le nez qui saigne, le chat dans la gorge : c'est ce qu'on appelle du cinéma sensoriel, ou, pour reprendre les termes plus exacts de Julia Ducournau : le body horror. J'ai été transportée, et j'ai (selon ma voisine durant la séance) fait des bruits, sursauté, gémi, geint ou simplement rigolé. Oui, car même dans ce film, on rit !
Ce film, ce film, parlons-en : l'histoire est "grave" simple : Justine, 16 ans, vierge, prude, végétarienne de père en fille, entre en fac de véto. Elle subit les bizutages habituels d'une fac véto, qui vont loin, très loin, parfois même plus loin que ceux de médecine. Elle est obligée d'avaler un rein de lapin. C'est pile poil à ce moment là que tout bascule, et qu'elle se découvre un appétit, disons, particulier. S'ajoutent à ça sa relation avec sa grande soeur, elle aussi véto, Alexia, son éveil à la sexualité et sa mutation corporelle.
Le film est tout simplement magistral : il fait flipper, avec quelques scènes vraiment gores qui sont distillées tout au long du film, mais fait aussi rire, grâce à des répliques drôles et une volonté d'ancrer le récit dans la réalité, malgré l'horreur des actions. Garance Marillier, l'actrice principale, est superbe et Julia Ducournau a, enfin, osé montrer un corps qui transpire, qui a des boutons, qui a des poils : un corps vrai. Elle a aussi montré une fille décomplexée par rapport à sa sexualité, aussi étrange soit-elle, qui ne se pose pas les questions débiles "ai-je bien fait ?", "qu'est-ce qui va se passer ?". Un film féministe, qui a le mérite d'exister, tant la production d'un film sur le cannibalisme chez une véto vegan, réalisé et interprété par des femmes a dû être complexe.
J'ai littéralement pris mon pied pendant certaines scènes, ouvert la bouche de surprise en voyant certains retournements de situation, et tout simplement adoré cette façon de filmer le campus glauque de la fac de véto, mais aussi ces plans éclairés au néon rouge, ou encore le plan sublime au ralenti, référence à Carrie, où les élèves sont éclairés, dès le départ, par une lumière rouge totalement irréaliste qui annonce l'horreur et le sang versé. Une chose m'a particulièrement marquée dans ce film : le sang. Rouge, qui coule à flot, que l'on avale, qui sort du corps, qui dévale sur les lèvres de Justine. Le sang est un élément à part entière du film, et il prend une place des plus importantes : il est à la fois animal et humain. Il est à la fois la vitalité et la putréfaction du cadavre. Il est, comme Justine, à la fois animal et humain.
La caméra de Julia Ducournau, là où elle aurait pu juger les actions de son film d'une façon manichéenne, ne le fait jamais : elle joue avec sa caméra et la façon dont Justine se tient et agit afin qu'on soit immédiatement en compassion avec elle, et, petit à petit, la fait se relever et devenir un personnage plus sauvage, plus brut et plus bestial. La musique de Jim Williams est totalement ouf, avec notamment des morceaux à l'orgue, ou une sorte de clavecin étrange, notamment lors de la scène clé du film, où tout commence par de petites notes jolies et se finit par de lourdes notes d'orgue morbides. Les scènes sur Justine avant sa "métamorphose" sont accompagnées d'une jolie petite musique d'enfance, qui contraste totalement avec la fin du film.
Les musiques originales, notamment Despair, Hangover and Ecstasy de The Dø et Plus pute que toutes les putes d'ORTIES sont très bien choisies, et, j'ai découvert dans une interview de Julia Ducournau que c'est Garance Marillier qui lui avait fait découvrir le morceau de The Dø, et qu'elle lui avait promis de l'intégrer dans le film. Je le trouve magnifique, et le plan séquence avec une centaine de figurants éclairé à la lumière de boîte de nuit est une prouesse visuelle.
En somme, rien à dire sur Grave à part : merci Julia Ducournau, bravo Garance Marillier, Ella Rumpf et Rabat Naït Oufella (que j'avais déjà remarqué dans Nocturama de Bertrand Bonnello) et foncez au ciné pour vous prendre une grosse claque sensorielle !
Modification de ma critique : le 3 mars 2018, au lendemain de la Cérémonie des César
Grave, premier film de genre, produit, réalisé et interprété par des femmes, crossover cannibalo-étudiant-véto n'a rien gagné à la cérémonie des César. Ça me reste en travers de la gorge. Julia Ducournau et Garance Marillier forment un duo prometteur d'actrice-réalisatrice, de femmes engagées dans leur art, voulant prouver qu'il est possible de sortir des sentiers battus, de casser les codes, pour créer un OVNI qui n'a que trop peu résonné dans nos cinémas.Ce film relève du pur génie. Il faut qu'il inspire, qu'il touche en plein coeur son public et qu'il trouve ceux qui, comme je l'ai été il y a tout juste un an, seront émus aux larmes et bouleversés par la portée universelle de ce film et par sa beauté organique. Pour clore ma tribune sur l'époustouflant Grave, je le décrirai en 3 simples adjectifs : corporel, universel, inventif. Je ne peux qu'encourager ce cinéma qui ose, qui aime, qui rêve, qui trangresse le politiquement correct pour créer et faire vibrer, au nom de l'art.